INTERVIEW
- Profession : photographe ?
Vincent Ferrane : Oui. De toute façon, le mot «
photographe » recouvre des réalités presque illimitées. Il y a sans doute autant de photographes que de façons d’exercer cette profession.
- Pourquoi êtes-vous devenu photographe ?
VF : J’ai fait de la photographie par plaisir, et au début certainement, par la simple volonté de répéter l’acte photographique. Il y a dans la prise de photo un sentiment d’ivresse lié à l’organisation du monde, à sa compréhension et à l’impression d’exister en harmonie avec lui. Bien sûr, je m’intéressais au résultat, à la photo elle-même, mais je garde en mémoire des instants de prises de vue déterminants émotionnellement. Il existe beaucoup d’aspects passionnants dans la photographie. L’un d’entre eux est que la photographie justifie la curiosité. Il est difficile d’aller quelque part, d’entrer chez des inconnus en leur disant : « Bonjour, je voudrais voir comment c’est chez vous ». Pourtant, être photographe vous place souvent dans ce genre de situation.
- Les portraits pour la presse, ça se passe comment ?
VF : Lors des séances portraits pour la presse, le temps très limité des entretiens et le cadre cadenassé des prises de vues incitent souvent les photographes à appliquer « une recette » qui laisse peu de place à l’imprévu ou à l’accident. Ce qui est dommage, car la photo apparaît souvent quand il ne se passe rien justement, quand le sujet se perd dans ses pensées, voire quand il commence à... s’ennuyer. Dans un portrait, il peut se dégager une impression de profondeur et de vérité du sujet alors qu’en fait, il essaye simplement de se rappeler où il s'est garé.
- Quel conseil donneriez-vous à un tout jeune photographe ?
VF : Je lui dirais de s’armer de patience et d’une persévérance à toute épreuve. L’avantage de ce métier est qu’on peut décider un beau jour que l'on est photographe. L'un des inconvénients, c'est qu’il va falloir en convaincre les autres tous les jours qui suivront.
QUESTIONS SUBSIDIAIRES
- Quel est le métier que vous n’auriez pas aimé faire ?
VF : Un métier que l’on fait comme un métier.
- Quelle est votre drogue favorite ?
VF : Le saucisson aux noix.
- Qu’est-ce qui, au contraire, peut vous mettre complètement à plat ?
VF : Les fruits au sirop « St Mamet » (c’est lié à un trauma dans mon enfance).
- Qui aimeriez-vous shooter pour mettre sur un nouveau billet de banque ?
VF : Jeff Koons.
SI VOUS ÉTIEZ
- Une couleur ?
VF :
Bleu, de Krzysztof Kieslowski.
- Une chanson ?
VF : "Hey", des Pixies.
- Un objet ?
VF : Un prisme.
- Un parfum ?
VF : …de déjà-vu.
- Un sentiment ?
VF : Distingué.
- Un(e) artiste ?
VF : Jules Supervielle.
- Un alcool ?
VF : L’eau-de-vie.
- Une œuvre d’art ?
VF :
An Eviction, Jeff Wall.
INTERVIEW « RÉFLEXE »
- Que faites-vous de vos yeux lorsqu’ils ne sont pas derrière un objectif ?
VF : Malheureusement, je les place de plus en plus souvent devant un écran d’ordi.
- Quel est le réflexe dont vous êtes le plus fier ?
VF : Éteindre la télé quand le programme n’est pas intéressant.
- Qu’est-ce que vous ne pouvez pas encadrer ?
VF : J’ai du mal avec le réalisme insipide des nombreuses photos dites « intimes » et plus précisément avec les autoportraits.
- Qu’est-ce qui déclenche une envie de photo ?
VF : Des fourmis dans les jambes.
- Qu’est-ce qu'un photographe ?
VF : C’est un peintre raté qui a su en tirer avantage.
- Quel est votre boîtier fétiche ?
VF : Un Makina Plaubel 6x7 qui va, je le crains, prendre de plus en plus la poussière.
- À quoi êtes-vous le plus sensible ?
VF : La composition, la forme, les lignes et les couleurs restent les principaux éléments qui m’attirent. J’ai toujours été intéressé par les photographes qui, dans leur travail, intégraient ces aspects soit avec une apparente légèreté comme William Eggelston, soit avec une rigueur conceptuelle comme Lewis Baltz ou Jeff Wall. Mais comme beaucoup de photographes sans doute, j’aime passionnément regarder des images et dans des genres variés. Si je parlais précédemment de la pauvreté du discours dans certains types d’autoportraits, la mise en scène de son propre corps peut par exemple me toucher chez John Coplans ou Francesca Woodman.
- Qu’est-ce qui passe avec succès, l’épreuve du temps ?
VF : Impossible de dire en art ce qui sera encore considéré comme pertinent dans vingt ans et en ce qui concerne la photo, ce sera d’autant plus difficile qu’on aura probablement du mal à lire les supports mêmes de stockage des images.
- À quoi vous sert l’art ?
VF : À aller voir ailleurs si j’y suis.
L'ARRÊT SUR IMAGE de Vincent Ferrane
Vincent Ferrane commente pour nous l'une de ses images. Une autre manière de découvrir son travail. Landscapes and portrait.
VF : Elle a été prise à Halifax au Canada. Je me souviens de m’être levé très tôt, d’être sorti de mon hôtel avec mon appareil alors que le soleil se levait. J’ai photographié cette enseigne probablement abandonnée à la suite de la fermeture du magasin d’un photographe de quartier. Ce que j’aime dans cette image, c’est l’impression que si le hasard fait sens, ce sens est énigmatique et amusant. J’aime bien l’idée que n’importe où dans le monde, il y a des messages cachés qui vous attendent derrière des entrepôts sans intérêt.
UN PHOTOGRAPHE + UN LABO
Vincent Ferrane & Processus
- Pourquoi avez-vous choisi Processus ?
VF : J’ai connu le labo dès le début de ma carrière. C’était alors le labo pro alternatif aux grandes enseignes. Avec eux, je pouvais développer mes propres photos à des tarifs abordables et avec une très bonne qualité. Je leur suis resté fidèle parce qu’ils se sont développés notamment en intégrant rapidement un important département numérique qui correspondait à l’évolution de mon exercice. J’y ai toujours eu des interlocuteurs très professionnels en terme de qualité ou de délais, et qui connaissent aussi mon travail, très à l’écoute de mes attentes et mes recherches.
Interview : Sandrine Fafet
(Février 2010)