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Le photographe Paolo Verzone

Paolo Verzone est photographe de presse, et partage son travail entre le portrait et le reportage. Il est membre de l'Agence VU' depuis 2003.  En tant que portraitiste et reporter, il collabore à de grands magazines (Le Monde 2Das MagazinVentiquattro,Vanity FairNewsweek, AmicaGeoDella Repubblica DIo Donna, etc.) et a reçu de nombreux prix.  Par ailleurs, il se consacre à différents projets personnels, seul ou avec son complice Alessandro Albert, avec qui il a notamment réalisé le reportage photo sur les Moscovites, articulé autour de deux moments-clef : 1991 et 2001, portraits recueillis dans le livre Volti di Passaggio.  Un autre projet commun, décliné sur plusieurs années, passe en revue, à travers l'Italie, la Lituanie, la France, la Finlande, la Grèce, l'Espagne, les différentes façons dont les baigneurs assument leur propre image, sur les bords de mer. Portraits à la chambre, inscrits dans une tradition documentaire, qui laissent la place à mille et uns petits détails vernaculaires, tour à tour drôles et surprenants. Un photographe qui, à sa façon, interroge le monde actuel. 
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INTERVIEW

- Premiers contacts avec la photographie ?
Paolo Verzone : Ma mère était photographe. Elle avait son labo à la maison, (dans les années 70, les grands labo pro n’existaient pas encore. C’était très courant, pour les photographes professionnels, de faire les développements et les tirages chez eux. On confiait seulement certains travaux vraiment importants à l’un des grands tireurs réputés du moment). J’ai donc grandi dans une chambre noire, mais ce métier ne m’intéressait pas du tout à l’époque. Ma mère, d’ailleurs, me déconseillait d’être photographe ! Mais elle me faisait souvent participer à l’éditing de ses images, et j’aimais beaucoup cette confiance qu’elle me témoignait ; l’éditing est un moment particulier, c’est un acte très intime. 

- Et pourtant, vous êtes devenu photographe…
PV : J’ai d’abord utilisé tout naturellement le labo de ma mère pour faire des photos de mes amis ; et c’est comme cela qu’à 17 ans, j’ai eu ma première photo publiée. Finalement je me suis retrouvé dedans. Sans avoir à choisir.  À 18 ans, on a un niveau de naïveté énorme, on est capable de faire des choses délirantes, contacter des magazines importants, de grands éditeurs, des espaces d’exposition établis… Sans avoir forcément le niveau pour travailler avec eux. Juste pour voir. Parfois, cela fonctionne ! Tu présentes tes images. Au début on te répond : « Tu es fou ! », deux ans plus tard on te dit : « Ah, te revoilà ! », et dix ans plus tard, on te confie des commandes importantes. Pour faire ce métier, il faut une certaine dose d’inconscience et de chance.

- Vous parlez d’inconscience et de chance… est-ce parce que vous êtes autodidacte ?
PV : Être autodidacte donne la liberté d’oser, oui. Une autre option possible, c’est d’entrer dans une école, devenir un bon technicien, faire correctement ce métier... en bon technicien. Tandis que pour moi, au début, c’était comme un grand jeu. Aucune école ne m’avait formaté. Et puis c’est devenu lentement un travail. Quand les choses deviennent plus sérieuses, il faut commencer à faire des choix, prendre des décisions. Depuis, j’ai décidé au moins quinze fois d’être photographe ! Chaque fois il faut se remettre en question. 

- Et jusqu’à présent, vous avez toujours trouvé de bonnes raisons de continuer ?
PV : J’aime beaucoup cette phrase : « Être photographe, c’est dur. Vraiment très très dur.  Mais c’est mieux que travailler ». Cette idée de « liberté » du photographe me plait. Même si c’est une liberté « sous escorte ». C’est un métier que j’aime beaucoup. J’ai besoin de contraintes. À chaque prise de vue, tu prends de nouveaux risques ; il faut donc garder un niveau de vigilance élevé et se sentir toujours vulnérable. Je m’amuse beaucoup à trouver des solutions pour contenter tout le monde au final… Mais rien n’est jamais acquis. Un jour ou l’autre, cela ne marchera pas… On ne peut pas être à la hauteur à chaque fois, c’est une question de statistique. La vie passe à travers l’imperfection des choses.

- « L’imperfection » justement, est une notion très importante pour vous ?
PV : La photo est un moyen de représentation du visible – et je ne dis pas de la réalité – imparfait. J’adore que ce soit imparfait, qu’il reste un petit défaut. Mais cette part de poésie, de magie, il faut savoir la préserver. Les nouvelles technologies donnent le sentiment d’un contrôle total, Photoshop permettant de tout effacer. C’est assez effrayant. Il faut laisser une petite brèche pour que la magie ait un espace… Contrôler à 90 %, 99 %, pourquoi pas.  Mais je laisse au moins 1% ouvert à l’imprévu. 

- Quels sont les photographes qui vous ont marqué ?
PV : Il y en a des dizaines, des centaines… À chaque période de la vie, il y a des photographes qui vous guident. Mais certains m’ont marqué un peu plus que d’autres.  Le premier c’est Joseph Koudelka. J’ai vu une expo de lui au Palais de Tokyo à 18 ans : un choc. À cet âge, on peut vraiment être réceptif à ce type de regard, on n’est pas encore « pollué » par tout un tas d’autres images. J’ai compris que l’on pouvait utiliser la photographie autrement que ce que j’avais imaginé jusque-là, entre représentation, documentation et cahier intime, mais toujours en liaison avec la réalité.  J’aime aussi la photographie ancienne, les grandes références du passé comme Disdéri, ou Nadar.  Et plus récemment, en portrait il y a Avedon. Le portrait à l’état pur, dans la continuité de Nadar.  J’aime également beaucoup Robert Franck. 
Et si j’apprécie énormément le travail de Cartier-Bresson (j’ai grandi en Italie avec cette conception de « l’instant décisif » comme une référence absolue), j’ai cependant toujours préféré Koudelka, et son regard sur le visible. Il a permis à toute la génération de photographes qui a suivi de concevoir une approche plus libre de la photographie, moins encadrée, plus personnelle et plus introspective. Davantage que le reportage social pur, ce qui me touche en photographie, c’est le « reportage mental », inspiré de Koudelka.  J’ai grandi aussi avec les paysagistes italiens, comme Gabriele Basilico, Olivo Barbieri, Luigi Ghirri, Vicenzo Castella.  Par exemple, bien avant Massimo Vitali, Ghirri est le tout premier à utiliser ces lumières blanches, lunaires, proches de la sur-exposition. Cette approche particulière du paysage m’a apporté une certaine sensibilité à l’espace, à la lumière et aux volumes, qui me sert toujours. 

- Qu’est-ce qui déclenche une envie de photographier ?
PV : Une série de sensations, des associations d’idées asymétriques… c’est très difficile à expliquer.  Il faut se taire, capter, tout capter, un geste, la vitesse d’un mouvement, une présence humaine, s’imprégner de tout. Il y a certaines fréquences sur lesquelles on capte mieux que d’autres, il faut savoir se mettre sur la bonne fréquence. La photo est un acte mental, avant d’être un acte visuel. 

- Le métier a-t-il beaucoup évolué depuis vos débuts ?
PV : Il y a eu deux grandes révolutions dans la photo : l’arrivée du négatif, qui avait permis à la photographie d’être reproduite à l’infini.  Maintenant, c’est l’arrivée du numérique et la diffusion, en parallèle, des images sur Internet. Par exemple Flickr vient de fêter les 5 milliards d’images téléchargées sur son site, à un rythme moyen de 4000 images par minute ! Et la moitié – au moins ! – sont gratuites à l’utilisation… À cette conception et cette diffusion massives d’images correspondent une nouvelle façon d’utiliser les images. Les enjeux sont énormes.  Il y encore trois ans, les magazines acceptaient assez facilement de laisser les photographes travailler en argentique. C’est de moins en moins le cas. On a trop associé – et à tort - le numérique avec l’absence totale de frais techniques. Certains magazines ne savent même plus ce qu’est un 4x5 ! Une attachée de presse m’a récemment regardé travailler à la chambre. Elle regarde dans le viseur et me dit :  « - Attention, l’image est à l’envers…
- Oui, c’est normal.
- Ah. Et est-ce qu’on peut juste revoir l’image d’avant, s’il vous plait ? Elle était mieux. »
Il y a quelques années, on associait la chambre 4x5 à une technique photographique de grand-père ; récemment, dans une galerie de supermarché où je photographiais des clients, on m’a demandé : « ça passe à quelle heure, sur quelle chaîne ? » ; la télévision a vampirisé l’imaginaire de la jeune génération. Il leur manque tout un pan de l’histoire de la photographie. Le rapport que l’on entretient avec l’image est en train de changer. Nous autres, photographes, nous devrons nous adapter – ou disparaître. Trouver une clef au paradoxe actuel : dans toute l’histoire de l’humanité, jamais la production d’images n’aura été aussi volumineuse, et pourtant le métier de photographe est en plein déclin ! Il y a forcément des solutions à trouver…

- La situation est-elle grave ?
PV : Il faut chercher des solutions. Dans quelques années, on aura une vision globale de cette transition. Pour l’instant, il faut trouver une clef pour sortir de notre vision quotidienne.  Les magazines achètent des images de moins en moins chères, et des concurrents comme Flickr fournissent même des images gratuites. Ce genre d’économie entraîne fatalement une baisse générale de la qualité. Et pour la première fois, on achète des images au titre de « marchandises ». Des entreprises rachètent des sociétés pour en redresser le chiffre d’affaires, que ces sociétés soient dans le café, les poulets, les téléphones portables ou les images, cela n’a plus d’importance. 

- Comment réagir à cela ?
PV : Il faut que ceux qui fournissent - ce qui est devenu - une « marchandise », imposent une éthique. Il faut instaurer une défense active. Ne pas accepter de travailler en dessous d’un certain prix. Ne pas accepter de travailler pour des publications gratuites. Accepter cela est une mauvaise logique, qui donne aux magazines de désastreuses habitudes. Cela peut encore donner du travail maintenant, mais c’est une faiblesse qui se paiera dans cinq ans. Refuser cela, c’est être militant, en quelque sorte. Certains photographes acceptent de ne plus être payés pour un reportage et même, prennent à leur charge les frais techniques, et le prix du voyage, et pourquoi ? Pour « l’honneur d’être publié » ! C’est dramatique ! Payer pour accéder à un marché… c’est laisser s’installer la concurrence à n’importe quel prix, c’est inacceptable. Il faut dire non ; même si cela implique de perdre parfois des occasions. 

- Vous êtes entré à l’Agence VU’ en 2003, comment cela s'est-il passé ?
PV :  Je suis allé voir Christian Caujolle, le fondateur de l’Agence, un ancien de Libération. J’admirais ce personnage. Il a un œil incomparable. Et je lui ai montré mon travail. La première fois, il m’a dit : « Très bien, super, au revoir ». Et puis je suis revenu. Plusieurs fois. J’ai montré différents projets. Et au bout d’une dizaine d’années, la persévérance a fini par fonctionner ! Je lui ai montré le sujet sur les plages, réalisé avec Alessandro Albert et il a dit OK. Les choses arrivent ainsi. Parfois il faut attendre des années, parfois tout marche du premier coup. Il n’y a pas de logique. 

- Parmi la génération qui suit la vôtre, y a-t-il des photographes dont vous suivez particulièrement le travail ? En quoi est-elle différente de la vôtre ?
PV : La nouvelle génération a une capacité à intercepter, à comprendre les mécanismes de gestion et de diffusion de la pensée dix fois plus rapide que la mienne. Tous ces nouveaux photographes savent aller immédiatement au cœur de leur imaginaire. Ils sont plus structurés. La démocratisation de la photo, qui en donne un accès plus large, leur a permis d’être plus éveillés. J’aime beaucoup, par exemple, le travail de Balazs Gardi, d’Andy Spyra ou d’Alex Prager. Les nouveaux talents émergent plus vite (et disparaissent plus vite ?). Je suis très admiratif.

- Quelle est l’activité qui vous permet de reposer vos yeux et de ressourcer votre envie de photographier ?
PV : Parfois, je n’emporte pas d’appareil photo : le fait de l’avoir avec soi déclenche un dispositif psychologique particulier, active une certaine partie du cerveau qui commence à chercher… Sans appareil, pas besoin de chercher. On peut profiter des choses telles qu’elles sont, et pas telles qu’on voudrait les voir. 
 

QUESTIONS SUBSIDIAIRES

- Quelle est votre drogue favorite ?
PV : Passer du temps avec ma fille Sophia.

- Qui aimeriez-vous shooter pour mettre sur un nouveau billet de banque ?
PV : Madonna.

- Quel est votre juron, gros mot, blasphème favori ?
PV : « MA VAFFANCULO »

- Quel don de la nature aimeriez-vous avoir ?
PV : Être une femme. 

- Ce n’est pas un don…
PV : Alors, conduire les motos comme Valentino Rossi. 

- En qui aimeriez-vous être réincarné ?
PV : Caravage. Un délinquant surdoué. J’aimerais avoir cette capacité à percer, à créer la nature, comme lui… Et être un fils de p*** aussi, comme lui. 

- À quoi vous sert la photographie ?
PV : À remettre de l’ordre dans ma tête. Cela me soigne. 

- Quels sont vos boîtiers fétiches ?
PV : Il existe toujours un rapport physique fort avec les outils de travail…  Il y a mon Leica M6, l’Hasselblad ; j’aime bien aussi travailler en 4x5, et avec le Nikon FM2.  Par contre, je n’arrive pas à éprouver de l’affection pour les boîtiers numériques, j’ai essayé, mais non. Par exemple, un jour, j’ai fêté l’anniversaire de mon Leica. Je lui ai offert un cadeau et on a bu un café ensemble… Avec le numérique, ce n'est pas pareil.

- Qu'est-ce qui passe avec succès, l'épreuve du temps ?
PV : Avec succès ? Rien... il me semble.

- À quoi êtes-vous le plus sensible ?
PV : À la part féminine du monde.
 

L'ARRÊT SUR IMAGE de Paolo Verzone


Le photographe Paolo Verzone revient pour nous sur l'une de ses images. Moscou. 1991.
PV : Cette photo reste l’une de mes images préférées et pourtant… je ne me souviens pas de l’avoir faite. Je me souviens de la circonstance, du lieu - cette grande esplanade, où l’on commençait à déboulonner les anciennes statues du communisme à Moscou… Je me souviens de l’ambiance, avec toutes ces têtes posées sur le sol, et cette idée de fin d’un monde, d’un changement d’époque… Je me souviens très bien de tout cela, mais j’ai oublié l’instant où j’ai pris cette image. Cette fille qui passe… C’est bien la preuve de la beauté de l’imperfection. Le cerveau voit des choses que les yeux parfois, n’arrivent pas à voir. C’est aussi toute la beauté du négatif par rapport au numérique : le négatif est comme un carnet de notes, que l’on récupère après. On regarde la planche contact et… l’on découvre quelque chose qui s’est déroulé dans l’inconscient.
 

UN PHOTOGRAPHE + UN LABO
Paolo Verzone & Processus


- Pourquoi avez-vous choisi Processus ? 
PV : Quand je me suis installé en France, j’ai interrogé des amis photographes pour connaître la liste des labo professionnels sur Paris. J’ai d’abord essayé d’autres labo - qui étaient bons, mais qui affichaient des prix vraiment trop hauts. Et puis je suis venu chez Processus. Leur politique me convenait très bien : avoir des développements et des planches contacts de super bonne qualité, à des prix raisonnables, et avec un vrai suivi du travail. Marie-Laure est une sorte de mama italienne pour les photographes, elle a une grande capacité à mettre à l’aise tout le monde. L’accueil à Processus est très chaleureux. Tu peux aller embêter tout le monde, discuter, faire des tests… Tout le monde là-bas aime son métier, et cela se voit. J’y retrouve le prolongement d’une famille.


Interview : Sandrine Fafet
(Novembre 2010)