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Le photographe Pascal Chevallier

Pascal Chevallier commence sa carrière à l'âge de 19 ans, avec une photo commandée par le magazine Elle - une nature morte de cosmétiques, en 1983. D'abord photographe d'architecture et d'intérieur durant une dizaine d'années, il collabore notamment à des magazines tels que World of Interiors, Vogue, Maison et Jardin. Il s'amuse à brouiller les pistes en mélangeant les genres, déplaçant les codes plutôt cloisonnés des différentes disciplines, avant de se tourner définitivement vers la mode dans les années 90. Mais son style reste marqué par son goût pour les photographies conçues comme des histoires baroques où foisonnent des objets fabuleux, des couleurs chatoyantes, mises en scènes dans les décors extraordinaires de pays lointains : l'Inde, le Pérou, Le Kenya, le Japon, l'Australie et pour des clients prestigieux tels que Vogue ou Vanity Fair.
C'est ce style flamboyant qui a fait de lui l'une des figures incontournables de la photo de mode aujourd'hui.
LEGENDE
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INTERVIEW

- Comment la photographie est-elle entrée dans votre vie ?
Pascal Chevallier : Je me suis inscrit dans un club photo, quand j’étais très jeune. Un peu par hasard. Et puis j’ai été fasciné par le travail en laboratoire, la chimie, les virages. Ce qui me paraissait vraiment magique, c’était le développement du tirage : ce moment où l’image apparaît sur le papier. La partie créative proprement dite – prendre des photos – ne m’intéressait pas tellement à l’époque. J’étais bien plus attiré par l’aspect technique du développement.

- Vous ne pensiez donc pas devenir photographe ?
PC : Non, je voulais faire de l'électronique. 

- Qui vous a donné envie de faire des photos ?
PC : David Hamilton. Je le dis sans honte ! J’aimais beaucoup son côté romantique, fleur bleue. J’ai ainsi photographié toutes les jolies filles de mon lycée et je suis même devenu très connu pour cela. (J’ai d’ailleurs eu quelques soucis avec les parents pour les raisons que vous pouvez imaginer…).

- David Hamilton. Et après ?
PC : J’ai commencé à travailler très jeune. Par chance, et aussi parce que j’ai su être au bon endroit, au bon moment. Je faisais une école de photo à l’époque, et je suis tombé par hasard sur le magazine Elle, dans le train, en venant sur Paris. J’ai été tout de suite fasciné par les paillettes, les diamants et tous ces instants de rêves qu’on nous présentait. J’ai pris quelques noms dans l’ours, et à mon arrivée à Paris, j’ai contacté le magazine. La première question qu’on m’ait posée fut : « Vous venez de la part de qui ? ». Comme je ne venais de la part de personne, bien sûr, on m’a poliment conseillé de représenter ma candidature trois mois plus tard. Ce que j’ai fait ! Et c’est ainsi que j’ai eu ma toute première photo commandée et publiée : il s’agissait de refaire une photo qui n’avait pas plu au magazine ; une photo de… Paul Lange ! Quand on est jeune, on a la chance d’être plus libre, inconscient, et de n’avoir rien à perdre. J’ai ensuite enchaîné les commandes, les voyages : une vie de rêve pour moi ! Et sans passer par la case « assistant de photographe », ce qui était très rare. À l’époque, il n’y avait quasiment pas de jeunes photographes de 20 ans. On devenait professionnel indépendant et établi vers 30 ou 40 ans, après de longues années d’assistanat.
                                              
- Ce devait être une période incroyable ?
PC : Un jour, on m’a envoyé sur une île grecque, pour le Vogue français, traiter un sujet sur une grande famille de milliardaires. Voyage en première classe, grandes réceptions avec gardes du corps, etc. Au cours d’un dîner sur leur yacht, la grand-mère, qui parlait très bien français, me demande poliment de l’aider : « Jeune homme, pourriez-vous, s’il vous plaît, me dire l’heure qu’il est ? Il y a tellement de diamants sur ma montre, que je n’arrive pas à voir les aiguilles, ça brille trop. »

- Pas trop difficile, dans ces conditions, de garder les pieds sur terre à 20 ans ?
PC : Je crois que je ne me suis pas toujours rendu bien compte de la chance que j’avais ! Et tant mieux. C’est sans doute cela aussi qui m’a fait garder la tête froide, dans ce rythme de vie un peu fou...

-  Était-ce réellement un atout d’être si jeune dans ce milieu ?
PC : Oui et non. À 20 ans, on est prêt à tout tenter : j’ai commencé comme photographe d’architecture et de déco, mais j’ai très vite senti que j’allais devenir un jeune vieux-photographe si je me laissais enfermer dans une seule case. Je suis allé voir du côté de la mode, navigant entre tous ces univers. C’était nouveau, peu de photographes faisaient cela et il y avait une vraie demande. Depuis, c’est devenu très à la mode, et les barrières sont tombées, tout cela paraît naturel. C’était beaucoup plus codé, plus cloisonné, à l’époque. Inversement, être très jeune peut aussi jouer des tours. Souvent, quand j’arrivais sur un plateau – et comme je travaillais sans assistant, on me demandait : « Il arrive quand, le photographe ? ». À 32 ans, les rédactions des magazines pensaient que j’en avais 55 ! Parfois cela pouvait m’amuser… mais pas toujours. On vous colle une étiquette, dont il est difficile de se débarrasser.

- Vous avez aussi la réputation (puisque l'on parle d’étiquette) d’aimer les missions impossibles ?
PC : Les voyages m’ont toujours beaucoup enrichi. J’ai vraiment besoin de partir. Loin, de préférence. Et certainement parce que j’adore trouver des solutions à des problèmes techniques, j’ai très vite acquis la réputation de prendre en charge tous les voyages un peu compliqués. Par exemple, je suis allé près de quinze fois shooter en Inde. Mettre en place une séance de photos de mode, là-bas, c’est tout simplement un cauchemar. Mais c’est un merveilleux cauchemar ! Je me sens très à l’aise au milieu de ce genre d’apocalypse : décider de shooter en plein centre ville, faire intervenir la police pour tenter de bloquer une foule de milliers de personnes, convoquer plusieurs éléphants pour augmenter encore un peu le chaos visuel… J’adore ce genre de mises en scène. Les badauds deviennent des figurants, au même titre que la police installant ses barrages. Une photo classique, en studio, ce n'est peut-être pas ce que je réussis le mieux.

- Le métier de photographe de mode a-t-il beaucoup évolué depuis vos débuts ?
PC : Les méthodes de travail ont pas mal changé, oui. On ne parlait pas encore de crise financière, il y a 25 ans ! C’était une époque plus insouciante. Moins cadrée, moins axée sur la rentabilité. On nous laissait plus de place et plus de temps pour tenter des choses. Lorsque je travaillais pour le Vanity Fair américain, par exemple, après un shooting à Paris, on faisait d’abord partir mes polas en Concorde, pour que la rédaction puisse voir très rapidement quelque chose… en attendant les planches contact, qui, elles, partaient un peu plus tard, toujours en Concorde, pour l’éditing… ! Aujourd’hui c’est moins fun, mais c’est également plus "raisonnable", ce qui évite pas mal d’abus.

- Où trouvez-vous l’inspiration pour vos prises de vues ?
PC : Souvent, je m’endors en pensant à ce que j’ai à faire pour un prochain shooting et je me réveille le lendemain avec une idée. J’ai aussi des idées, éveillé, bien sûr, mais beaucoup d’entre elles mûrissent la nuit. C’est une méthode assez facile.

- L’inconscient est donc pour vous l’une de vos principales sources d’inspiration ?
PC : Tant que je n’ai pas l’appareil en main, et que je ne regarde pas dans le viseur, je n’ai aucune idée de ce que je vais faire. Dès que je prends l’appareil, il se passe quelque chose. Je deviens quelqu’un d’autre. Une sorte de mutant. Un état second. Un dédoublement. Lorsque je regarde dans le viseur, des images apparaissent. Je ne suis pas photographe constamment. C’est parce que je regarde dans l’appareil que des images m’apparaissent.

- Qu’est-ce qui vous passionne le plus dans la photographie ?
PC : J’aime beaucoup le mélange de technique et d’art. Pour créer plus librement, j’ai besoin de contraintes, et notamment des contraintes techniques du labo. Ces contraintes sont comme des rails dont j’ai nécessairement besoin pour créer. Si j’étais complètement libre, je serais perdu. La logique, les mathématiques, et la technique sont des disciplines liées à notre pensée, et à notre équilibre. Réussir une prise de vue consiste pour moi à résoudre une équation mathématique : il s’agit de trouver une solution créative, certes, mais il s’agit bien de trouver une solution à un problème donné.

- Vous explorez de nouvelles voies ?
PC : Récemment par exemple, j’ai réalisé des photos en 3D. Et j’ai fait pas mal de recherches sur le sujet. J’ai utilisé, pour ces prises de vues, deux boîtiers en parallèle, et j’ai réalisé une série d’images, à visionner avec des lunettes. Le projet m’intéresse, et l’idée de monter une expo me plairait beaucoup.

- Argentique vs numérique : qu’en pensez-vous ?
PC : J’ai longtemps travaillé en argentique et je suis passé au numérique du jour au lendemain. Au fond, c’est pareil. Autant je m’intéresse beaucoup à la technique du laboratoire, autant la mécanique me laisse assez froid. Je suis bien évidemment très attaché aux boîtiers avec lesquels j’ai mes habitudes de travail, mais je ne vais pas me jeter sur le nouvel appareil dernier cri. Je travaille en numérique parce que le marché le demande. L’essentiel pour moi, finalement, ce sont les images elles-mêmes ; la manière de les prendre n’a aucune importance. Devoir utiliser un jetable, un Hasselblad, un iPhone, ou un boîtier numérique, peu m’importe.

- Quel conseil donneriez-vous à un jeune photographe ?
PC : Good luck ! Il faut bien évidemment avoir du talent, pour faire ce métier, c’est évident, mais il faut aussi avoir beaucoup de chance, arriver au bon moment. Savoir provoquer la chance, mais avant tout avoir cette chance.
 

QUESTIONS SUBSIDIAIRES

- Quel autre métier auriez-vous aimé faire ?
PC : Cuisinier.

- Quel est le métier que vous n’auriez pas aimé faire ?
PC : Politicien.

- Quelle est votre drogue favorite ?
PC : Le café.

- Qu’est-ce qui vous fait réagir le plus de façon créative, spirituellement, ou émotionnellement ?
PC : La bonne humeur.

- Qu’est-ce qui, au contraire, vous met complètement à plat ?
PC : La tension, la douleur, la mauvaise humeur. 

- Qui aimeriez-vous shooter pour mettre sur un nouveau billet de banque ?
PC : Obama.

- Quel est votre juron, gros mot, blasphème favori ?
PC : « Bordel »

- Un objet fétiche, un porte-bonheur ?
PC : Le chiffre 5.
 

SI VOUS ÉTIEZ

- Une couleur ?
PC : Le mauve.

- Une saison ?
PC : L’automne.

- Un parfum ?
PC : L’odeur d’une cheminée, le lendemain matin.

- Un (autre) artiste ?
PC : Léonard de Vinci, ingénieur, visionnaire, capable de trouver des solutions à des problèmes donnés, au-delà du peintre, et de l’artiste pur.

- Une œuvre d’art ?
PC : La Tour Eiffel, quand elle scintille.
 

INTERVIEW « RÉFLEXE »

- Que faites-vous de vos yeux lorsqu’ils ne sont pas derrière un objectif ?
PC : Je regarde nulle part. Je regarde sans regarder, pour ne pas regarder quelque chose de précis.

- Quel est le cliché que vous ne supportez plus ?
PC : Les photos floues m’agacent, surtout les miennes.

- Quand vous fermez les yeux, quelle image apparaît ?
PC : Plein de couleurs, des couleurs vives. J’aime les photos très colorées.

- Quel est le réflexe dont vous êtes le plus fier ?
PC : Garder mon calme en toute circonstance. Je suis imperturbable.

- Qu’est-ce que vous ne pouvez pas encadrer ?
PC : Les gens mal élevés.

- Qu’est-ce qui déclenche une envie de photo ?
PC : Une envie de raconter une histoire.

- Votre état d’esprit sur la situation de votre métier ? Positif ou négatif ?
PC : Je pense très sincèrement que c’est le plus beau métier du monde. Trouver une solution heureuse, jouer des contraintes, voyager, rencontrer des gens.

- Quel est votre boîtier fétiche ?
PC : Mon premier Hasselblad. Très symbolique. Maintenant ils ne font plus le même bruit… Le bruit était très important, le clic d’une belle mécanique.

- Qu’est-ce qui passe avec succès, l’épreuve du temps ?
PC : L’envie de faire des images.

- À quoi sert un photographe ?
PC : À raconter des histoires.
 

L'ARRÊT SUR IMAGE de Pascal Chevallier


Le photographe Pascal Chevallier décrypte pour nous l'une des premières images marquantes de sa carrière.
PC : J’ai réalisé cette photo à 21 ans. J’étais très jeune, mais je pense que c’est sans doute la meilleure photo que j'ai faite. On m’avait confié une série complète pour le Vogue Déco. 45 pages, rien que pour moi. Le thème : la vie de château. Hormis cela, j’avais une totale liberté pour traiter le sujet. Ce dîner baroque au milieu de la forêt semble tout droit sorti de Meurtre dans un jardin anglais. Je n’ai pourtant vu ce film que de nombreuses années plus tard ! J’aime construire des images qui font rêver, en dehors de tout réalisme. Je conçois la photographie comme quelque chose de très superficiel – et je le revendique absolument. Je fais mon travail sérieusement, mais je ne prends pas tout cela au sérieux. Il y a souvent beaucoup d’argent investi, et les enjeux sont importants, mais le photographe de mode, lui, vend du rêve. Cette photo a marqué les gens, elle est toujours dans mon dossier. Contrairement aux photos de mode qui lassent très vite, cette image a su rester hors du temps, elle ne vieillit pas.
 

UN PHOTOGRAPHE + UN LABO
Pascal Chevallier & Processus


- Pourquoi avez-vous choisi Processus ?
PC : J’ai toujours travaillé avec beaucoup de labo ; je suis à la fois fidèle et infidèle. Mes clients ne m’imposent pas un labo plutôt qu’un autre, je reste libre. Je travaille maintenant régulièrement avec Processus depuis deux ans. Comme souvent, il s’agit d’une histoire de rencontres, de confiance, et d’écoute.
La prise de vue est un moment créatif assez solitaire : le labo me permet de confronter mes images à d’autres regards, à d’autres sensibilités. J’apprécie qu’une équipe me propose de bonnes idées, et sache me surprendre. Le temps que je passe avec les retoucheurs chez Processus est pour le moi le moyen précieux de prolonger la séance photo et d’aller plus loin dans mon propre travail.


Interview : Sandrine Fafet
(Janvier 2011)