INTERVIEW
- Comment la photographie est-elle entrée dans votre vie ?
Marion Poussier : C’est un mélange de tout un tas de choses… Mes parents, d’abord, avec toutes les photos qu’ils ont ramenées d’un long voyage, et que j’admirais quand j’étais petite, cette familiarité avec les images qui s’est ainsi installée. Un appareil photo offert quand j’avais une douzaine d’années. Ma belle-soeur photographe. C’est à la fac que j’ai commencé à m’intéresser plus sérieusement à la photographie. Mes études ne me convenaient pas (études de bio). Je me suis inscrite au cours du soir de photo des Beaux-Arts et au club photo du coin. Et puis j’ai pensé continuer mes études dans ce domaine. J’ai tenté Louis Lumière. À la grande surprise de tout le monde, cela a marché !
- Pourquoi êtes-vous devenue photographe ?
MP : Je ne suis pas certaine de le savoir. J’ai un besoin de création, tout en restant au contact des gens. J’ai besoin de “concret”. Avec la photographie, j’arrive à exprimer des choses que je ne pourrais pas exprimer autrement. La photographie me fait vivre, dans tous les sens du terme. Elle fait partie de ma vie, elle me nourrit et me permet d’avancer. Et puis d’un point de vue plus pragmatique, c’est grâce à la photographie que je gagne ma vie. Les projets qu’on me propose sont de plus en plus en lien avec mon travail personnel, c’est d’autant plus passionnant. Je travaille sans avoir le sentiment de travailler.
- Comment êtes-vous devenue photographe ?
MP : Comme tous les photographes, je pense, en photographiant.
- Qu’est-ce qui vous excite le plus dans la photographie ?
MP : Les rencontres. Aller vers les autres n’est pas quelque chose qui va de soi en ce qui me concerne et pourtant c’est ce que je préfère, photographier les gens. Mais à chaque fois, c’est une épreuve. Je suis quelqu’un d’assez timide et je dois me pousser moi-même pour faire mes images. C’est ce passage-là qui est intéressant, celui où il faut se forcer pour que quelque chose de nouveau puisse naître, mais on ne sait jamais quoi à l’avance.
- Quels sont les photographes qui vous ont influencée ?
MP : Les photographes que j’aime sont plutôt originaires d’outre-atlantique : Walker Evans, Diane Arbus, Bruce Davidson, Jim Goldberg, Jeff Wall.
- Sur la plupart de vos images, les gens que vous photographiez semblent naturels, livrés à eux-mêmes : comment faites-vous pour faire oublier votre présence ?
MP : Je pense que cela vient de mon caractère, de mon tempérament assez discret et de la “distance” que j’installe avec les personnes que je photographie (en tout cas au moment où je les photographie). Quand je photographie les adolescents - la série «
Un été » -, je suis vraiment tout près d’eux avec mon appareil pointé sur eux. Ils me voient autant que je les vois mais je reste “en retrait”. Je n’interviens pas dans leurs conversations et ne réponds pas à leurs questions, je ne change pas d’attitude si je vois qu’ils sont gênés. J’attends. Et je peux rester plantée en face d’eux très longtemps si bien qu’ils finissent par m’oublier. Avec le temps, c’est une sorte de règle du jeu qui s’installe. Quand j’ai mon appareil dans les mains, ils ne font plus attention à moi. Et quand je le pose, on discute. Quand ils ne veulent vraiment pas être photographiés, ils me le font savoir et alors j’arrête.
- Votre dernier projet est la série "Les corps invisibles" : comment est né ce projet ?
MP : À l’invitation d’une amie, Valérie Villieu, photographe et infirmière à domicile auprès de personnes âgées. Elle voulait monter un projet sur la vieillesse. Elle a réuni trois photographes autour d’elle (Laurence Faure, Dominique Mérigard et moi-même), une anthropologue - Bernadette Puijalon - et un illustrateur - Raphaël Sarfati - . Et nous nous sommes mis au boulot. Il y a cinq ans, j’ai monté une association, « Regarde Ailleurs », pour réaliser ce type de projets, des projets artistiques à caractère social (en 2006, c’est avec « Regarde Ailleurs » que j’avais réalisé l’exposition “J’y suis, j’y vote” avec Lucie Geffroy). Avec l’association, nous sommes allés à la pêche aux subventions. Trois ans après, le projet voit le jour avec une exposition à la Cité des sciences et un journal que nous souhaitons diffuser de manière très large.
- Après avoir tenté d'approcher l'adolescence, les jeunes adultes et les cours de récréation, il était normal d'aller vers les personnes âgées ?
MP : L’idée n’est pas venue de moi, j’ai répondu à une “invitation” mais bien sûr, cela m’intéressait de m’y confronter. La question de l’âge, du corps, de l’image de soi, de la vie en société dans des lieux collectifs, ce sont des thématiques qui reviennent dans mon travail. Pour aborder la question de la vieillesse, j’ai passé deux semaines dans une maison de retraite afin d’observer et de photographier de très vieilles personnes. J’ai été fascinée par leurs corps tordus, repliés, abîmés et par le fait qu’ils avaient complètement abandonné l’idée de contrôler ce corps. Comme une bataille terminée avec eux-mêmes et avec la société. Autant photographier l’adolescence était une démarche assez facile et intuitive pour moi, autant photographier la vieillesse a été beaucoup plus difficile. Je me pose encore beaucoup de questions sur les images que j’ai réalisées et je pense poursuivre ce travail.
QUESTIONS SUBSIDIAIRES
- Quel autre métier auriez-vous aimé faire (à part photographe) ?
MP : Un métier manuel en lien avec la nature. Qui sait, peut-être que quand j’aurai trouvé lequel j’abandonnerai la photo !
- Quel métier n’auriez-vous pas aimé faire ?
MP : Travailler dans un péage autoroutier.
- Quelle est votre drogue favorite ?
MP : Le chocolat très noir.
- Avez-vous un objet fétiche, un porte-bonheur ?
MP : Pas vraiment. Quoique. Quand j’ai une épreuve importante à passer, je mets ma bague rouge. C’est idiot mais bon…
- Qu’est-ce qui vous fait réagir le plus de façon créative, spirituellement, ou émotionnellement ?
MP : Ce que j’observe dans la rue, d’une atmosphère particulière à un simple regard entre deux personnes, ou une engueulade au guichet de la Poste.
- Qu’est-ce qui, au contraire, vous met complètement à plat ?
MP : La bêtise. Mais elle peut aussi être source de création quand j’arrive à la prendre avec assez de recul.
- Quel est le bruit, ou le son, que vous aimez faire ?
MP : Rouaouuu (le chat qui veut un câlin).
- Quel est le bruit ou le son que vous détestez ?
MP : Le sifflement (humain).
- Quel est votre juron, gros mot, blasphème favori ?
MP : «
Merde de merde de merde » (prononcé avec l’accent de Raymond Privat, dans
La vie moderne de Depardon).
- Quel don de la nature aimeriez-vous avoir ?
MP : Le don d’ubiquité.
SI VOUS ÉTIEZ
- Une couleur ?
MP : Le jaune.
- Une chanson ?
MP : « Le Bal perdu » de Bourvil.
- Une saison ?
MP : Le printemps.
- Un parfum ?
MP : L’odeur de ma fille.
- Un sentiment ?
MP : La mélancolie.
- Un(e) artiste ?
MP : Ane Brun.
- Un alcool ?
MP : Le rhum.
- Une œuvre d’art ?
MP :
"Printemps" de Ferdinand Hodler.
INTERVIEW « RÉFLEXE »
- Quel est le cliché que vous ne supportez plus ?
MP : Les clichés sont tous insupportables.
- Qu’est-ce qui déclenche une envie de photo ?
MP : Une scène dans la rue.
- À quoi sert un photographe ?
MP : Créer des ponts.
- Quel est votre boîtier fétiche ?
MP : Mon Mamiya C220 acheté d’occasion en Iran.
- En photo, qui vous impressionne vraiment ?
MP : Diane Arbus.
- Qu’est-ce qui passe avec succès, l’épreuve du temps ?
MP : Les images.
- À quoi êtes-vous le plus sensible ?
MP : Aux gens sensibles.
L'ARRÊT SUR IMAGE de Marion Poussier
Marion Poussier décrypte pour nous l'une de ses images. Série : Un été. Août 2003
MP : Cette image a été beaucoup publiée, exposée et souvent les gens associent mon nom à cette image. Quand je l'ai raconté aux deux jeunes filles, sur la photo, elles n’ont pas bien compris pourquoi. Pour elles, il ne s’agit que d’une photo de leur adolescence, un moment où elles étaient sur la plage à discuter avec ces deux garçons, rien de plus. C’était en 2003, au mois d’août. À la fin de mes études à Louis Lumière, j'avais décidé de partir faire des photos pendant l’été. C’était le tout début du projet, je n’avais pas encore d’envie précise, juste une vague intuition de ce que je pouvais faire et l’envie de photographier l’adolescence. Je me suis dit que le meilleur endroit pour le faire serait surement une colonie de vacances. J'ai passé une semaine dans cette colo. Un après-midi, on est allés à la plage. C’était l’année de la canicule, il y avait de la brume à cause de la chaleur. Les deux garçons étaient assis sur le sable, ils ne faisaient pas partie de la colo. D’où l’intérêt pour les deux jeunes filles d’aller à leur rencontre : premier contact, échange de quelques mots et surtout échange précieux de numéros de téléphone. Les deux garçons semblent très à l’aise. Les deux filles, en maillot de bain, tentent d’avoir l’air assuré mais ne peuvent cacher une certaine gêne. Je suis juste derrière les garçons et face aux filles mais tous les quatre sont tellement concentrés sur leur moment de drague que personne ne me voit ni n’entend le déclenchement de mon appareil, pourtant pas discret ! De mon côté, j’étais très loin de penser que cette image serait ensuite autant montrée, commentée (jusque dans des manuels scolaires...).
Question technique, la photo est réalisée au 6x6 (Hasselblad), sans flash. Aucun travail de retouche. L’image est très douce, cela vient à la fois de la lumière du moment, du film (Portra 400 NC) et du tirage très
léger.
UN PHOTOGRAPHE + UN LABO
Marion Poussier & Processus
- Pourquoi avez-vous choisi Processus ?
MP : L’équipe est sympa, les prix aussi. Ce qui est important pour moi, c'est un accueil chaleureux, une équipe à l'écoute et un travail de qualité !
Interview : Sandrine Fafet
(Mai 2011)