INTERVIEW
- Comment qualifieriez-vous le genre d'images que vous produisez ?
Andrea Giacobbe : Des messages en bouteille.
- Comment vous vient l'inspiration ?
AG : En vivant.
- Premiers contacts avec la photo ?
AG : À 8 ans, j'ai observé un oncle développer des tirages noir & blanc, et j’ai tout de suite joué à faire des tirages contact de feuilles d'arbres trouvées au parc.
À 20 ans, j'ai décidé d’arrêter mes études d’architecture, à Florence, pour aller faire de la musique à Londres. Une fois là-bas, j'ai trouvé par hasard un boulot alimentaire en tant qu'assistant / esclave de studio, et tout mon temps a été vampirisé par la photographie. Je passais tous les week-ends à travailler et j'ai fini par pratiquement habiter au studio.
C'est sans doute le moment fondateur de ma carrière de photographe. La première image, dans ma galerie, est d'ailleurs un autoportrait shooté tout seul en studio un dimanche après-midi. Après un an de cette vie, mon intérêt pour la photo avait bien fleuri, et j'ai décidé de faire une demande d'inscription au Bournemouth & Poole College of Art and Design. Ce travail d’assistant à Londres en 1988, puis les deux années d’études à Bournemouth de '89 à '91, et enfin la décision de venir vivre à Paris début '92, sont autant d'étapes qui ont sans aucun doute influencé la suite.
- Pourquoi êtes-vous devenu photographe ?
AG : Mon intérêt pour la photographie est une conséquence de mon attirance envers la représentation visuelle en général, laquelle avait démarré bien avant l’arrivée de la photo.
La possibilité de transmettre des choses à travers la création d’images m’a tout de suite paru fascinante. J’ai beaucoup dessiné dans mon enfance, et puis cela s’est arrêté d’un coup vers 11-12 ans. Va savoir, la photo est peut-être pour moi un rêve, un jeu d’enfance... ?
- Quels sont les photographes qui vous ont donné envie de faire de la photo, qui vous ont influencé et qui vous influencent à présent ?
AG : J'ai d'abord beaucoup admiré des photographes classiques tels qu’Edward Weston ou Robert Mapplethorpe. Et puis j’ai ensuite découvert des visions plus complexes avec des photographes comme Robert Frank ou Bill Brandt. J'aime également la photographie dans son rapport aux magazines, aux médias, où des personnalités telles que Richard Avedon ou Guy Bourdin y font figures de monuments ; ainsi que cette notion de "témoin historique", parfaitement traduite dans la modernité par le mythique Robert Capa.
Récemment, l'interférence des genres que l'on a vu apparaître avec des photographes tels que Cindy Sherman et Andreas Gursky me semble inévitable, et cela est une très bonne chose, à mon sens. À présent, je pense être davantage influencé par d’autres formes artistiques, telles que le cinéma, la bande dessinée, l’image de synthèse, l’art contemporain, etc.
- Qu’est-ce qui vous excite le plus dans la photographie ?
AG : Sa façon inexorable de transcrire le temps.
- Quelle est l’activité qui vous permet de reposer vos yeux et de ressourcer votre envie de photographier ?
AG : Le sommeil.
- Avez-vous déjà eu envie d’arrêter complètement la photo ?
AG : Non, jamais. Faire des images est vraiment ce que j’aime faire. Mais j'ai connu, il y a quelques années de cela, un vrai moment de panique personnel et professionnel, qui m'a amené à me poser quelques questions.
- Quel conseil donneriez-vous à un tout-jeune photographe ?
AG : Sois très fier d’être photographe.
QUESTIONS SUBSIDIAIRES
- Quel (autre) métier auriez-vous aimé faire ?
AG : Chercheur / scientifique.
- Quel métier n'auriez-vous pas aimé faire ?
AG : Employé de banque.
- Quelle est votre drogue favorite ?
AG : Le cannabis.
- Qu’est-ce qui vous fait réagir le plus de façon créative, spirituellement, ou émotionnellement ?
AG : La musique.
- Qu’est-ce qui, au contraire, vous met complètement à plat ?
AG : La comptabilité.
- Quel est le bruit que vous détestez ?
AG : Le bruit des moustiques avant le sommeil.
- Qui aimeriez-vous shooter pour mettre sur un nouveau billet de banque ?
AG : Léonard de Vinci.
- Quel est votre juron, gros mot, blasphème favori ?
AG : "
Putain".
- Quel don de la nature auriez-vous aimé avoir ?
AG : Le huitième sens.
- Quelle est la plante, l’arbre ou l’animal dans lequel vous aimeriez être réincarné ?
AG : Un dauphin.
- À quoi vous sert l’art ?
AG : À vivre.
SI VOUS ÉTIEZ
- Une couleur ?
AG : Le gris.
- Une chanson ?
AG : "Across the Universe" / "Redeption son" / "Smells like teen spirit mix".
- Une sensation ?
AG : La surprise.
- Un (autre) artiste ?
AG : Jimmy Hendrix.
- Une œuvre d’art ?
AG : Une fresque préhistorique.
- Un objet ?
AG : Un robot du 23ème siècle.
INTERVIEW « RÉFLEXE »
- Quand vous fermez les yeux, quelle image apparaît ?
AG : Le visage de ma fille.
- Qu’est-ce qui déclenche une envie de photo ?
AG : Des idées floues.
- Devant quel sujet ne pouvez-vous pas rester objectif ?
AG : Moi.
- Qu’est-ce que vous ne pouvez pas encadrer ?
AG : La conscience.
- Si vous deviez zoomer sur un événement, ce serait lequel ?
AG : Le possible dépassement de la vitesse du photon.
- À quoi sert un photographe ?
AG : À regarder.
- En photo, qui vous impressionne vraiment ?
AG : Les paparazzi.
- Quel est votre boîtier fétiche ?
AG : Un Mamiya RZ.
- À quoi êtes-vous le plus sensible ?
AG : Au désir.
- Qu’est-ce qui passe avec succès, l’épreuve du temps ?
AG : La vie.
- Quel est le réflexe dont vous êtes le plus fier ?
AG : La respiration.
UN PHOTOGRAPHE + UN LABO
Andrea Giacobbe & Processus
- Pourquoi avez-vous choisi Processus ?
AG
: J'avais très agréablement travaillé avec Tom il y a vingt ans, et cela a été un grand plaisir de le retrouver en 2008, grâce a Processus ! La compétence et la sympathie de toute l'équipe ont fait le reste... Chez Processus, je trouve tout simplement un labo très compétent et chaleureux.
L'ARRÊT SUR IMAGE d'Andrea Giacobbe
Le célèbre photographe Andrea Giacobbe décrypte ce mois-ci pour Processus, l'une de ses images.
Le parking.
AG : C'est une image prise très tôt le matin, sur le parking d'Italie 2, sans demande d'autorisation et avec une stratégie "d'opération blitz". On a étudié très rapidement la pose et le cadre avec le mannequin (toujours habillé) ; l'image avait déjà une atmosphère assez spéciale... Ensuite Lisette - une fille suédoise sans peur et sans gêne, s'est dénudée et a pris sa place sur scène. J'ai commencé à shooter, et tout de suite, j'ai vu apparaître, dans le cadre, un vieux monsieur et son labrador noir. Le chien, visiblement intrigué, s'est approché de la fille, suivi par son maître. Lisette est restée de glace, même quand le chien a timidement voulu renifler.
Les secondes qui ont suivi sont sûrement parmi les plus étranges de ma carrière : il n'y a eu aucun échange verbal, juste un croisement de regards hypnotisés entre le maître, moi, Lisette et le labrador. Quelques secondes plus tard, on s'est tous "réveillés". Le vieux monsieur et son chien ont repris leur route.
Ce jour-là, j'étais parti pour réaliser une image qui, dans mon esprit, serait plutôt Kubrickienne. Mais on s'est tous retrouvés chez David Lynch.
Interview : Sandrine Fafet
(Février 2012)