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Le photographe Julien Lachaussée

Julien Lachaussée est photographe freelance. Il collabore à de nombreux magazines tels que Sang Bleu, Inked, Gustav mag, Rugged, Clark magazine, Désillusion ou Maelström et a réalisé plusieurs expositions sur son travail (Galerie Agnès B, FNAC, Tattoo Art Festival, Who's Next…). En 2010, il gagne la 3ème place du concours Nikon Fnac. Son premier livre, Alive Tattoo Portrait, est paru en 2011. Julien Lachaussée fait partie de ces rares photographes qui, par amour du film, travaillent - encore maintenant - exclusivement en argentique. Et si on lui demande ce qui déclenche une envie de photo, il répond : "Le rock'n'roll".
Argentique's not dead : Processus vous le prouve une fois de plus ce mois-ci.
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INTERVIEW

- Premiers contacts avec la photographie ?
Julien Lachaussée : Je rêvais de faire du dessin, mais j'ai vite compris que ce n'était pas fait pour moi… Alors j'ai essayé la photo.  
 
- Comment êtes-vous devenu photographe ?
JL : J'ai suivi des cours du soir à l'école EFET pendant deux ans. Je ne me disais pas encore que j'allais en faire mon métier, mais j'avais envie de comprendre comment les choses fonctionnent. Et alors que je travaillais dans une boutique Levi's, dans le Marais, j'ai rencontré le photographe de mode et portraitiste de stars Jan Welters, dont je suis resté l'assistant pendant 5 ans. Après cette expérience, il m'a fallu trouver ma propre identité en photo. Jan m'avait toujours encouragé dans mon travail personnel, mais au départ, on marche toujours un peu sur les traces du "maître". J'ai fait quelques tests dans des agences de mannequins, mais cela ne me correspondait pas vraiment. J'ai alors commencé à photographier les gens qui gravitaient autour moi - tous tatoués parce que je viens du monde du skate et du hard-rock. Cette fois, c'était un univers qui me parlait. Et je me disais que ce serait génial de faire un livre qui réunirait tous ces portraits, un gros biker, un skinhead, une vieille strip-teaseuse… Mais je ne savais pas trop comment organiser ce projet. Donc pendant plusieurs années, j'ai simplement accumulé les portraits.
 
- C'est donc ainsi qu'est né le livre "Alive, Tattoo Portraits" ?
JL : Oui, ce sont les éditions Eyrolles qui m'ont contacté pour me proposer l'idée. De leur côté, au départ, il était davantage question d'une série de close-ups de tattoo. Mais j'ai défendu mon propre concept - les portraits de marginaux - et ils ont été convaincus.
 
- À présent, vous ne photographiez plus seulement des inconnus, vous photographiez aussi des personnalités du cinéma et de la musique. Cela se passe comment ?
JL : C'est souvent compliqué d'avoir accès aux types de personnes que je cherche à photographier. Marginaux ou artistes - qu'ils soient célèbres ou pas - n'ont pas forcément envie de se faire photographier, au départ. Peter Doherty, par exemple, j'ai réussi à le convaincre avec ce premier livre. Je voulais photographier ses tatouages, pendant le festival de Cannes, mais on m'avait prévenu que ce n'était pas facile de le photographier. Je lui ai montré mon livre, il l'a regardé page après page. Il a alors déboutonné sa chemise, remonté ses manches, enlevé ses chaussures et a couru vers la mer. Il était tout heureux. On a fait plein de photos. À la fin de la séance, je lui ai offert l'un de mes polaroïds et il m'a fait une bise ! Quand je dois photographier quelqu'un pour une commande, c'est différent, je fais d'abord quelques recherches sur internet pour voir le personnage, son style, ses tatouages. Et j'imagine un petit scénario dans lequel j'aimerais bien le faire entrer. Certains acceptent de se prêter au jeu. D'autres pas. Si c'est non, je sais que je passe à côté de quelque chose.
 
- Flash sur 3 shootings.
Le plus cauchemardesque ?

JL : Dans un parking, avec de grands boxes et des vitraux. Ambiance parfaite… jusqu'à ce que la gardienne arrive, hystérique, nous accusant de casser des voitures. On a d'abord tenté de l'apaiser et de négocier. Mais quand elle a essayé d'attraper mon matériel photo en hurlant "on m'agresse", là, on a préféré s'en aller. Son mari arrivait et menaçait d'appeler la police. Heureusement, j'avais eu le temps de faire la photo et on les a insultés copieusement avant de partir. Mais on était un peu frustrés.
 
Le plus dingue ?
JL : À Vauréal, au Forum, avec Adam Bomb, l'icône du glam rock de New-York dans les années 80/90. La séance photo commence backstage, quand tout à coup il me dit : "Attends". Et là, il sort un petit bidon d'essence. Je comprends tout de suite ce qu'il veut faire, parce que je l'ai déjà vu faire sur scène. Je cale vite fait la lumière, juste avant qu'il mette le feu à sa guitare. De grandes flammes sortaient de partout. J'avais juste un peu peur de déclencher l'alarme incendie du couloir et me prendre de la flotte sur mon matériel… Mais j'étais vraiment content !
Les artistes, maintenant, contrôlent de plus en plus leur image, leurs gestes, leurs attitudes. Cela fait du bien de voir qu'il en reste encore qui savent se lâcher sans trop se poser de questions, comme pouvaient le faire des génies tels que Nina Hagen ou Daniel Darc. Je n'ai pas trop envie de shooter des gens normaux qui pourraient être mes voisins. Quand je regarde un film de gangsters, pendant une heure et demi je suis un gangster ; quand je vais shooter un artiste, j'aime bien qu'il me donne quelque chose d'extraordinaire.
 
Le plus trippant ?
JL : Avec Rancid, un groupe punk rock américain des années 90. Ils faisaient partie de ces groupes que je voulais absolument avoir, et surtout le leader Tim Armstrong. Mais ce n'est jamais simple d'approcher toutes ces rockstars… J'ai réussi à entrer backstage par un copain qui devait mixer du son sur l'un des concerts. Je n'avais pas de place, ni de pass. Par chance, je connaissais le groupe qui faisait la première partie. J'attends un peu avec eux. J'essaye d'approcher le guitariste du groupe, Lars Fredericksen, qui ne me répond pas vraiment. Je commence à ne plus trop y croire. Je tente une dernière entrée en allant voir leur garde du corps. En regardant mon travail sur mon iPad, il voit tout à coup que j'ai déjà photographié de nombreux leaders du DMS CREW (un gang auquel il appartient) et veut tout de suite que je le photographie, lui aussi, pour figurer à leurs côtés. Voyant cela, les autres ont suivi, et j'ai pu  photographier tout le monde, tous les musiciens, les rodies, tout le monde ; la confiance s'était installée. On a échangé nos mails et on est restés en contact. C'était une belle expérience.
 
- Quels sont les photographes qui vous ont donné envie de faire de la photo ?
JL : Ce n'est pas le travail d'autres photographes qui influence le plus le mien. Il y a quelques grands photographes que j'admire, bien sûr, comme Annie Leibovitz ou Peter Lindbergh, mais je suis davantage influencé par le cinéma. Je regarde beaucoup de films, - de la pire série B au film d'auteur - mais je vais voir très peu d'expos de photos.
 
- Couleur ou N&B : comment se fait le choix ?
JL : Je fais davantage de N&B, mais parce que je n'ai pas toujours le choix justement. J'ai souvent très peu de temps pour faire mes prises de vue. Pas le temps de poser des lumières. Ni le temps d'étudier comment sera habillé celui que je viens photographier. Le N&B, parfois, est une sécurité. J'ai toujours un boîtier chargé en couleur, un autre en N&B. Ensuite, j'improvise. Selon l'endroit, le look de celui que je vais photographier, l'ambiance, la lumière, etc. J'ai une gamme de couleurs que j'aime bien - le rouge et les teintes orangées, et je sais tout de suite si je vais arriver à les sortir ou pas. Si ce n'est pas possible, alors je fais du N&B. Je n'utilise jamais de flashs. Ils gomment la profondeur des images, cela ne m'intéresse pas. Je préfère les lumières naturelles, ou bien je joue avec la couleur d'un néon associée à celle du costume, et je tente un effet... Je m'adapte.
 
- La post-prod ?
JL : Je ne suis pas photographe de mode, on ne me demande donc que très peu de retouche. Je ne récupère pas un bras, une tête ou un ciel ici pour le mettre là. Quand je regarde certaines photos de magazines, je me demande parfois comment on a osé valider un résultat pareil… Certains modèles ressemblent à des mutants. Je dois me plier à certaines règles, bien sûr, certains sont plus exigeants que d'autres, essentiellement sur les rides. Je n'ai pas le choix. Mais cela me chagrine de gommer les rides et les cicatrices : elles font partie du patrimoine !
 
- Argentique ou numérique ?
JL : Je ne fais pas de numérique. J'ai gagné un boîtier numérique au concours photos FNAC, il y a quelques années. J'ai fait rapidement deux ou trois photos avec, mais je n'ai pas cherché à aller plus loin. Il y a trop de boutons, trop de réglages, trop de possibilités. Je l'ai vite revendu. Cela ne me parlait pas. Je préfère mes boîtiers argentiques en moyen format. J'ai un Mamiya 7, des Pentax 6x7, un Nikon FM2 et un Polaroïd. Et là, il n'y a pas cinquante réglages. Quand je vais photographier quelqu'un, je sais ce qui m'intéresse chez lui. Je sais un peu d'avance ce que je viens chercher. Si c'est "une gueule", je ferai un close-up et je prépare le boîtier adéquat. Si c'est sa veste en croco, c'est différent. Et comme, bien sûr, je peux aussi avoir des surprises, je prends toujours deux ou trois boîtiers au cas où. Mais uniquement en argentique.
Maintenant que la plupart des photographes shootent en numérique, les personnalités que je photographie sont souvent intriguées par mon matériel. Ils me demandent à voir les images, et quand ils réalisent qu'il n'y a pas d'écran au dos du boîtier, ils sont agréablement surpris.
Le film argentique a ce côté chaleureux. Il permet de prendre le temps d'installer une relation. Le numérique va trop vite. Tu prends les photos rapidement, tu ne donnes rien. À la fin de chaque prise de vue, on essaye souvent de me piquer un polaroïd...  C'est cet échange humain que j'aime.
 

QUESTIONS SUBSIDIAIRES

- Quel (autre) métier auriez-vous aimé faire ?
JL : Rockstar.
 
- Quel métier n'auriez-vous pas aimé faire ?
JL : Fonctionnaire.
 
- Quelle est votre drogue favorite ?
JL : La pizza.
 
- Qu’est-ce qui vous met de bonne humeur ?
JL : Les filles.
 
- Qu’est-ce qui, au contraire, vous déprime ?
JL : Les gens sans ambition, les gens qui se laissent aller.
 
- Quel bruit détestez-vous entendre ?
JL : La craie sur le tableau.
 
- Qui aimeriez-vous shooter pour mettre sur un nouveau billet de banque ?
JL : Mickey Rourke.
 
- Quel est votre juron, gros mot, blasphème favori ?
JL : "Va te faire foutre".
 
- Quel don de la nature aimeriez-vous posséder ?
JL : Donner le sourire à ceux qui font tout le temps la gueule.
 
- Avez-vous un objet fétiche, un porte-bonheur ?
JL : Un collier en jade.
 
- Qu’est-ce qui déclenche une envie de photo ?
JL : Le rock 'n' roll !
 
- À quoi sert un photographe ?
JL : À arrêter le temps, à faire rêver.
 
- Quel est ton boîtier fétiche ?
JL : Le Mamiya 7 (avant, je préférais le Pentax 6x7, mais le Mamiya 7 est plus léger. Pas de retour de miroir, si bien qu'au 8e/s ou au 15e/s, même sans trépied, même avec très peu de lumière, je ne suis pas flou).
 
- En quoi/qui aimeriez-vous être réincarné ?
JL : Un mix de Hugh Hefner, le patron de Playboy, et de Larry Flynt, celui de Hustler.
 

SI VOUS ÉTIEZ

- Une couleur ?
JL : Bleu.
 
- Une chanson ?
JL : Let's get lost, de Chet Baker.
 
- Un objet ?
JL : Un skate.
 
- Un animal ?
JL : Une souris (parce que c'est discret et malin).
 
- Un parfum ?
JL : Un jardin en Méditerranée, d'Hermès.
 
- Un personnage célèbre ?
JL : Clint Eastwood.
 
- Un plat préparé ?
JL : Des lasagnes. 
 

UN PHOTOGRAPHE + UN LABO
Julien Lachaussée & Processus

- Pourquoi avez-vous choisi Processus ? 
JL : Parce que !
Je suis venu chez Processus sur les conseils du photographe Julien Oppenheim (à l'époque, il était, lui aussi, comme moi, assistant de Jan Welters). L'ambiance y est très familiale, tout le monde est vraiment sympa. Avec Tom, je parle autant hard rock que N&B et Karoline connaît très bien mon travail ; quand je finalise avec elle mes scans, elle sait toujours me proposer une chromie qui va me plaire. Sans Processus, je ne serais pas là où je suis maintenant ; je dois beaucoup à Marie-Laure, et à toute l'équipe.
C'est un peu plus qu'un labo.
 

L'ARRÊT SUR IMAGE de Julien Lachaussée

C'est le photographe Julien Lachaussée qui décrypte pour nous ce mois-ci l'une de ses images. Il a souhaité rendre hommage au chanteur Daniel Darc - décédé il y un an, le 28 février 2013 - qui a beaucoup compté pour lui.  Couverture de la pochette du dernier album de Daniel Darc Novembre 2011

JL : J'ai eu l'occasion de photographier Daniel Darc à de nombreuses reprises, et c'est également lui qui m'a donné la chance de réaliser ma première pochette d'album. Cela a été une rencontre extraordinaire.
Je voulais faire son portrait depuis longtemps. Et pour le contacter, j'avais d'abord exploré la piste des tatouages : j'ai demandé au tatoueur Tin-Tin s'il le connaissait, ou s'il connaissait son tatoueur, mais je n'ai pas réussi à remonter jusqu'à lui. J'ai alors suivi la piste des disquaires, et c'est Iwan, l'un des deux patrons de la boutique Born Bad où Daniel Darc achetait beaucoup de ses vinyls, qui m'a aidé. Un jour où Daniel est venu dans sa boutique, il m'a passé un coup de fil : "Daniel est là, tu peux passer si tu veux". J'y suis allé. Je lui ai montré mon travail. Dix minutes après, il était torse nu dans la boutique et on a fait quelques photos. Je l'ai recroisé, assez longtemps après cet épisode, et il m'a alors tout de suite proposé de faire la pochette de son album.  
Le jour du shooting, on a d'abord commencé par faire quelques photos chez lui, et puis je lui ai proposé de sortir pour se balader. Il m'a dit : "Ok, mais je prends ma valise" (et d'ailleurs chez lui, il y en avait plein). On a fait quelques photos dans les rues, et, alors qu'on passait devant l'église dans laquelle il avait l'habitude d'aller, je lui ai dit qu'il fallait absolument y entrer. On a vérifié qu'il n'y avait personne à l'intérieur. Il fallait faire vite. Il s'est mis à genoux dans l'allée, j'ai fait une vingtaine d'images, pas plus. Je ne savais pas encore que ce serait l'une de ces images-là qui serait retenue pour la pochette de l'album.

Le shooting : préparation ou impro ?
JL : Plutôt impro. C'était une grande responsabilité pour moi, bien sûr, cette commande. Quand un artiste te propose la pochette de son album, il te confie le travail de plusieurs années de sa vie. Pourtant, la prise de vue s'est faite naturellement, on a écouté des vinyls, on a discuté, on s'est baladés : comme une journée entre potes. Daniel Darc était un personnage vraiment touchant.
 
La réalisation ?
JL : Étant donné qu'il s'agissait d'une commande pour Sony, je devais faire davantage de prises de vue en couleur. Mais dans cette église, par exemple, les images en couleur ne rendaient rien. C'était vraiment plus fort en N&B.
Pentax 6x7. Pas de flash. Lumière naturelle.
 
La post-prod ?
JL : Daniel Darc ne faisait pas partie de ceux qui te conseillent de retoucher ceci ou cela, le petit coup de vieux ici ou les paupières du mec fatigué, là. Pas de retouche, donc...
 

Interview : Sandrine Fafet
(Janvier 2014)