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Le photographe Vincent Peters

Né en Allemagne, Vincent Peters commence la photo lors d'un voyage en Thaïlande, dans les années 80. Les images seront publiées plus tard dans le magazine Géo. En 1989, il part pour New-York travailler comme assistant de photographe puis s'oriente vers la photographie de mode dans les années 90. Il rejoint l'agence Art Partner en 1998. Son travail photographique paraît dans les magazines tels que Vogue, Dazed and Confused, The Face, GQ, Numero, etc. et il réalise de nombreuses compagnes de pub pour Celine, Miu Miu, Joop, Rochas, Yves Saint-Laurent, Nuxe, Lacoste, etc. 
Bienvenue dans l'univers de Vincent Peters, directeur de la photo d'un film qui n'existe pas.
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INTERVIEW

- Premiers contacts avec la photographie ?
Vincent Peters : Mes parents se sont connus dans une école de Beaux-Arts. L'art et la création ont donc toujours tenu un rôle très important chez nous. Il était évident que je devais trouver une place dans le monde de l'art. Vers onze ou douze ans, j'ai eu mon premier appareil photo : mais à l'époque, je photographiais surtout les arbres et les oiseaux… !
 
- Quels sont les photographes qui vous ont influencé ?
VP : Je me sens plus proche des chefs opérateurs - et de l'univers du cinéma en général - que des photographes. J'ai beaucoup regardé les images de Time & Life et j'aime vraiment des photographes comme Richard Avedon, Bruce Davidson, ou Elmut Newton. Mais le travail de quelqu'un comme Greg Toland (directeur de la photo entre 1926 et 1948, notamment sur Citizen Kane), ou de Gordon Willis, dans les années 70, chef opérateur sur Le Parrain par exemple, ou Manhattan, de Woody Allen, me parle davantage - Manhattan étant, à mes yeux, l'un des plus beaux films en noir et blanc du cinéma.
 
- Vous n'êtes pas passé par une école de photo ?
VP : Non. À 17 ans, je me suis fait virer du lycée, en Allemagne. Ma mère est donc allée m'inscrire à l'école de Beaux-Arts où elle-même avait fait ses études. Par le circuit scolaire normal il fallait 50 points pour être admis. Hors scolarité, il fallait passer "le test du talent" fixé à 100 points. J'ai passé le test. J'ai obtenu 99 points. Ma mère a insisté pour que je sois admis quand même, mais le message qu'on voulait me faire passer était  : "c'est bien, mais tu es encore un peu trop jeune pour entrer dans cette école. Il faudra revenir dans quelques années, quand tu auras mûri".
Alors en attendant, j'ai décidé de faire un stage comme assistant de photographe. Le soir de la première journée de stage - je me souviens très bien, on était arrêtés à un feu rouge - j'ai dit : "Je veux être photographe". Je revois tout. Le feu rouge, la voiture, le photographe…
Depuis, rien n'a vraiment changé. Je ne savais pas trop quoi faire de ma vie, et tout à coup, c'était évident. Je suis devenu photographe. Je me suis acheté un appareil photo, un Mamiya RZ, et c'est toujours le même que j'utilise aujourd'hui, je shoote toujours en films. Et puis finalement, à l'époque, le photographe m'a viré parce que je n'y connaissais vraiment rien et que ce n'est pas un métier si facile, mais il me restait encore pas mal de temps avant de pouvoir intégrer l'école des Beaux-Arts. Ma mère m'a donné 1000 Deutsche Marks pour aller à New-York et essayer de devenir assistant photographe là-bas.
 
- Faire ses preuves à New-York, c'est facile ?
VP : Je venais d'Allemagne, j'avais 18 ans, 1000 Deutsche Marks en poche, aucune adresse. J'avais seulement une liste de 10 noms d'agences de mannequins relevées dans l'annuaire, et je voulais être assistant de photographe. J'ai appelé les dix agences. Sans succès. Arrivé au bout de ma liste, je me demandais ce que j'allais faire. Mais les gens à New-York sont très speeds et ils ne font pas forcément attention à ce que tu leur dis. Quand un jour on m'a dit : "Ah ok, c'est toi qui as appelé hier ?", j'ai compris qu'il y avait peut-être quelque chose à faire… Alors j'ai rappelé toutes les agences en changeant de nom à chaque fois. Je notais tout sur un cahier : les noms des gens qui se présentaient en décrochant et les pseudos que j'utilisais, les dates, etc. Et je pouvais dire : "Hey Jack ! C'est Christopher. Tu m'as dit de rappeler aujourd'hui pour bosser avec vous"… Avec un boulot d'assistant, je gagnais cent dollars, et je pouvais vivre trois semaines de plus à New-York. J'habitais dans une YMCA. Mais tu ne peux pas y rester. Au-delà d'un mois, ils te virent. Alors là aussi j'ai triché en me réinscrivant sous un autre nom. La quatrième fois, le réceptionniste m'a dit : "Ok, là, c'est bon, je crois, hein ?" Je ne savais pas où aller. Il m'a donné l'adresse d'une chambre à louer dans la 85ème rue (avec des cafards dans les robinets pour quatre-vingt dollars la semaine) et j'ai aussi travaillé comme serveur.
 
- Après New-York, Paris…
VP : Je montrais mes images dans des agences de mannequins - des photos noir et blanc, pas très loin de ce que je fais maintenant. Un jour, alors que je proposais mon book à l'agence Art Partner, Giovanni Testino, qui avait perdu ses lunettes dans un taxi, se trouve coincé à l'agence, sans vraiment pouvoir travailler. J'en profite pour lui montrer mon book. Il regarde et me dit : "Ici, à New-York, c'est très "commercial", c'est pas pour toi. Tu fais des images plutôt artistiques, c'est pas mal, mais tu devrais peut-être retourner en Europe."
Et c'est comme cela que j'ai habité six ans à Paris. J'avais 28 ans, je voulais être artiste. J'ai fait des expos, mais je n'avais pas un sou en poche. Le photographe Andrea Giacobbe m'a alors prêté quelques photos à lui pour démarcher dans des agences de mannequins. Et j'ai commencé à travailler comme photographe, avec les photos d'un autre, mais tout en gardant l'idée des Beaux-Arts. Je visais les agences de mannequins pour gagner ma vie, mais je n'étais pas très motivé. Quand on m'a fait comprendre que pour réussir dans ce milieu, il fallait vraiment s'investir, j'ai définitivement abandonné l'idée des Beaux-Arts et j'ai trouvé un agent : André Werther. Et là j'ai commencé à shooter avec le magazine Amica, pour lequel j'ai fait beaucoup de parutions.
 
- Vous êtes finalement entré à l'agence Art Partner, avec Giovanni Testino ?
VP : Quelques années plus tard, alors que je passais à New-York retrouver une amie, je tenais absolument à revoir Giovanni Testino. Il était devenu un très grand agent et travaillait avec son frère Mario Testino.
Là-bas, à New-York, tu n'as jamais de rendez-vous. Tu déposes ton book, et tu repasses le chercher, avec, au mieux, un petit mot dedans (le drop-off date).
La secrétaire de Giovanni me rend donc mon book. Je n'avais rien à perdre : je lui demande ce qu'elle pense, elle, de mon travail. Elle cherche à m'expédier : "Tu sais, j'ai très peu de temps-là… Ton travail n'est pas assez commercial. Nous sommes une agence haut de gamme, on n'a que des séries A… Et ce n'est pas toi". Au même moment, Giovanni sort la tête de son bureau et demande à la fille : "Tu sais qui c'est Vincent Peters ?". La fille répond interloquée : "Euh… c'est lui !". "Tu as deux minutes ? Je voudrais te voir" me demande Giovanni. Tu parles ! Cinq minutes plus tôt, la secrétaire voulait me jeter, la voilà qui me propose "un petit thé en attendant". Oui, s'il vous plait, avec du sucre - et du lait !
Giovanni Testino est quelqu'un de très impressionnant, avec un accent italien, comme le Parrain… Il m'a dit : "il y a des agences qui me parlent très bien de toi. Est-ce que cela t'intéresserait de travailler avec moi… ? Je peux te rendre très riche." Et sept ou huit mois plus tard, j'entrais dans son agence, Art Partner. Le directeur artistique d'Amica, avec qui je travaillais beaucoup, et qui était un grand ami de Giovanni, lui avait dit de regarder mon travail. Dès le premier mois, j'ai enchaîné cinq ou six campagnes de pub, Yves Saint Laurent, Rochas, Miu Miu, etc. Et j'ai fait le tour du monde.
 
- Et les projets perso ?
VP : Je n'aime pas séparer les choses parce que cela divise aussi les énergies. Mon travail commercial, c'est aussi mon travail personnel - et je rends sans doute tout le monde complètement fou avec cela. Être photographe occupe 90% de mon temps. Je ne pourrais pas me consacrer à un travail personnel sur les 10 % restants, c'est impossible. Quand je shoote quelqu'un comme Emma Watson, je peux lui demander de faire quelques photos en plus, qui ne seront pas publiées, des images un peu différentes, mais toujours dans le même esprit, pour ne pas perdre l'intention de départ. Mais si un jour je fais un livre, les images seront 100% des photos publiées. Je n'ai pas de photos cachées dans mes tiroirs, de chats morts ou de femmes nues.
 
Trois flashs de shooting
- Le plus compliqué ? Le shooting de U2, et le voyage à Miami avec ma femme Alexandra.
VP : Je devais shooter U2 à Miami. À l'époque, on se voyait peu avec ma femme et je lui propose de venir avec moi là-bas. Voilà la situation : d'un côté, tout va bien, tu es à Miami, tu dois shooter U2, tout est simple. De l'autre, ta femme te dit : "On doit parler de notre relation", et là, c'est l'enfer.
Après une nuit interminable de discussion et au moment d'aller rejoindre U2 au studio, Alexandra me dit : "Si tu pars maintenant, Vincent, c'est fini. Je ne serai plus là à ton retour". Je pars. Arrivé au studio, je rencontre le service d'ordre de U2. D'énormes picks-up qui sillonnent le quartier, et des types genre Harley. L'un d'eux me demande où je veux shooter. Je dis que j'ai repéré une vieille voiture dans une rue un peu plus loin. Ils me disent : "OK, pas de problème, on va boucler le quartier sur 2 km tout autour". Je me dis : "Ah oui ? Ça se passe comme ça ? C'est simple, avec eux."
Après le shooting, je prends un thé en terrasse quand une grosse voiture blanche s'arrête devant moi. C'est U2. Ils me proposent de boire un verre avec eux. Dans la voiture, mon téléphone sonne... C'est Alexandra : "Tu rentres maintenant, ou à ton retour à l'hôtel, je serai dans l'avion." Bono entend la conversation et me dit : "Ah, tu as des problèmes avec les femmes ? Moi aussi."
Finalement on va boire un verre. Et puis ils décident d'aller manger quelque part. Je leur dis : "Ok. Mais… - je sais que c'est con - j'ai ma femme qui m'attend à l'hôtel et qui menace de me quitter… " Bono me dit : "Ok, on va chercher ta femme". On arrive à l'hôtel. Je cours comme un fou. Alexandra est encore là. Je lui dis : "Mets une robe. On va dîner avec U2". Elle refuse. (C'est dur d'impressionner une femme aujourd'hui).
On finit par y aller. Et au milieu d'une tablée de quinze ou vingt personnes, Bono se lève, tapote son verre et dit : "Vincent veut dire quelque chose". Je manque de m'étrangler.
En fait, Bono voulait que je raconte cette histoire qu'il avait adoré : À la sortie de "The Joshua Tree", j'habitais en coloc avec ma copine de l'époque, à Hambourg, et on avait cet album en cassette que j'écoutais en boucle. Les autres coloc en avaient tellement marre de m'entendre chanter sous la douche et en faisant le ménage, qu'ils voulaient tous me virer. Et en plus, je chantais avec l'accent allemand... Finalement, la fille m'a quitté et m'a viré de l'appartement : je n'avais plus vraiment de raison de rester en Allemagne. C'est donc aussi pour cette raison que je suis parti à New-York avec mes 1000 Deutsche Marks en poche. 
Et je suis ainsi devenu photographe, parce que je chante très mal U2.
 
- Le plus fou ? Maria Carey en maillot de bain.
VP : Je devais shooter Maria Carey. Elle arrive avec huit heures de retard. Le manager s'installe, accompagné d'une cinquantaine de personnes, des chiens, etc.
On devait shooter en maillot - et Maria Carey a des formes assez généreuses. Le styliste lui propose pourtant le plus petit maillot de bain que j'ai jamais vu de ma vie - pire que si elle était nue. Maria me demande : "Vincent, tu en penses quoi ?" Moi je me dis que si je fais cette photo-là, je n'ai plus besoin de travailler pendant deux ans et je réponds : "Hum… pfff… on peut essayer, pourquoi pas…" Elle a un verre de vin à la main, et elle me dit : "Oui, faisons un essai." Je m'apprête à shooter quand tout à coup, quelqu'un hurle dans mon dos : "What the fuck is going on ?" C'est son manager qui arrive en hurlant : "Qui est ce photographe ? Vous êtes fous ? Si c'est toi qui as demandé ça, je te garantis que tu ne travailleras plus jamais à New-York". Maria Carey intervient pour dire : "Mais, c'était drôle !"
Non, ce n'était pas drôle, visiblement…
 
- Le plus crispé ? Gwyneth Paltrow, pour la sortie d'Iron Man.
VP : Le magazine voulait que l'on shoote Gwyneth Paltrow en lingerie, mais elle n'aimait pas vraiment cette idée, c'était évident. Elle avait accepté pour prouver à tout le monde qu'elle était toujours aussi belle, malgré ses deux enfants, mais elle faisait un peu la gueule en arrivant au studio. Il faut toujours trouver un bon contact avec les modèles. Dès le début. C'est très important. Et en même temps, avec les stars, il faut garder un peu de hauteur et ne pas se monter trop fan, pour être respecté soit-même en tant qu'artiste, et comme quelqu'un qui sait ce qu'il veut (c'est toi le capitaine). Gwyneth Paltrow sort de la cabine avec un petit bustier, nettement trop petit et elle n'est vraiment pas à l'aise. Alors j'essaye une petite blague pour la détendre. Il y avait une trentaine de personnes présentes dans le studio et soudain, un énorme silence. Tout le monde se retourne vers moi. Gwyneth Paltrow prend une voix genre François Hollande et me dit : "Qu'est-ce que tu as dit ?". Grand froid. "Attention, je ne suis pas une bimbo, moi".
Et ensuite, la mauvaise ambiance est restée, Gwyneth Paltrow m'a regardé de travers toute la journée.
 
- Argentique vs numérique ?
VP : Je fais du numérique, bien sûr, mais je n'arrive pas vraiment à aimer mes photos en numérique. Même si je recrée la même lumière (avec les HMI), je n'ai pas le même contact ; le numérique ne me touche pas. Si je n'ai pas le choix, je fais du numérique, évidemment, mais je préfère l'argentique. On peut parler de grain, de pixel, de jpeg... mais il y a quelque chose au-dessus de tout cela, de l'esthétique, qui est la substance.
 
- Couleur vs N&B ?
VP : J'aime bien la couleur, mais j'ai une préférence pour le noir et blanc. J'aime beaucoup la lumière des films noirs, du néo-réalisme italien, de la Nouvelle Vague. Quand je fais des photos, j'ai un film N&B dans la tête. Seulement le N&B, commercialement, n'aide pas beaucoup… Ce qui fait l'image, c'est la lumière. La lumière peut changer la réalité. Un même objet, le même jour, s'il y a du soleil ou pas, n'est plus le même. Et toi-même tu penses à la vie différemment. Et c'est fascinant de voir à quel point la lumière peut changer la réalité. Le N&B me correspond davantage, même si j'ai, bien sûr, l'ambition de faire de belles images en couleur. Mon agent me dit toujours : "Mais imagine une vie sans couleur !" Elle a aussi raison.  
 
- Comment votre style a-t-il évolué avec le temps ?
VP : Giovani Testino m'a dit un jour : si tu te sens perdu, souviens-toi du temps où cela marchait. À un moment, tu as su créer des images que les gens ont aimées, tu as suscité une émotion. On court toujours après quelque chose (Elmut Newton, lui, poursuit une image de sa mère…). 
Savoir revenir à son propre point de départ, pour se recentrer.  
 
- Et une carrière au cinéma, vous y pensez ?
VP :  Pourquoi pas, j'ai des offres, des contacts. Mais le cinéma est un univers très différent. Beaucoup plus compliqué. Il y a davantage d'argent en jeu, tout prend du temps, la production est moins souple, tu ne peux pas improviser juste avec la video de ton iPad… Tu peux réaliser le film si tu ramènes l'acteur. Une photo, cela reste symbolique. Un film est plus émotionnel.
Quand j'ai shooté Mickey Rourke, il y a quelques années, il m'avait proposé de faire un court-métrage. J'avais même écrit un scénario sur l'histoire d'un boxeur qui ne gagnait jamais aucun combat et qui se battait contre lui-même, comme Sisyphe. Mais à l'époque, ce synopsis semblait trop proche de ses propres fantômes… Depuis, il a tourné The Wrestler. J'ai eu des propositions de la part de Kim Basinger aussi… Et ce qui est drôle, c'est que quand j'étais au lycée, à Hambourg, je n'avais qu'une seule K7 vidéo, et c'était 9 Semaines 1/2 ! Je l'ai sans doute vu mille fois, au moins… À un moment où à un autre, je pense que cela se fera.
 
- Diriez-vous que vous n’imaginez pas vous passer de prendre des photos ? Est-ce une activité vitale pour vous ?
VP : Je suis un "One-Trick Pony" : je ne sais faire qu'une seule chose, mais je le fais très bien. Si j'arrêtais photo, je serais serveur dans un Starbuck. Je suis non graduate - uneducated worker : je serais payé 5 € l'heure… Je n'ai pas fait d'école et je n'aime pas que l'on me dise ce que je dois faire. Je me suis marié avec la photo, en quelque sorte, et c'est comme une femme d'avec laquelle tu ne divorces pas. Tu dois te réveiller le matin et être encore amoureux. C'est tentant d'appliquer toujours la même formule, surtout en photo où tu utilises une machine. Mais il faut préserver cet amour, trouver sans cesse de nouvelles idées pour entretenir la flamme.
 
- Quelle est l’activité qui vous permet de reposer vos yeux et de ressourcer votre envie de photographier ?
VP : La boxe. J'adore la boxe (mais je ne suis pas très bon). À présent que j'ai eu quelques petits problèmes de santé, on va peut-être me conseiller autre chose… La natation ? Ou acheter un chien ! 
 
- Quel conseil donneriez-vous à un jeune photographe ?
VP : Trouve pourquoi tu fais les photos que tu fais, comprends ton image, et tente de te comprendre toi-même dans ton image. On recherche toujours quelque chose. Nos images traduisent une idée. Et quand on a découvert ce que c'était, on est beaucoup plus net. Hemingway parle d'une phrase "vraie" où tu n'enlèves rien, où tu n'ajoutes rien. Mais la justesse n'est pas si facile à trouver.
 
- Avez-vous trouvé, vous-même… ?
VP : Je sais qu'une image, ce n'est jamais "juste une image". Quand tu regardes une photo, tu réactives, en même temps, dans ton imaginaire, toutes les photos que tu as pu voir par le passé ; c'est comme une sorte de bibliothèque qui surgit. On ne peut pas dissocier les références, isoler une influence. Et quand tu crées quelque chose, tu t'y retrouves toi-même, il y a là quelque chose de psychanalytique. Au départ, c'est juste intuitif "oui, j'aime ça" et à la fin, tu es confronté au résultat, à un ensemble, à une oeuvre. Des directions, des décisions, des manifestations de choix très personnels, un rassemblement d'expériences, de fragments qui restent dans ta mémoire. On exprime des désirs, des frustrations. La photo est une expression honnête de soi, de ses envies.
Pourquoi Helmut Newton photographie des femmes à distance, dans la perspective d'un enfant ? Pourquoi ne pose t-il jamais la main sur ses modèles ? Renvoyé par sa mère à l'âge de treize ans, il doit se contenter de relations maternelles avec des nurses. Contre-plongée, voyeurisme… le fil rouge de ses images. Mario Testino, lui, donne l'impression que les gens riches sont tous beaux et heureux (ce n'est pourtant pas tout à fait vrai)… Mais c'est le message qu'il veut transmettre aux autres - et aussi à lui-même. Pourquoi ce besoin de bâtir un monde harmonieux, sans conflits, ni confrontation, alors que la réalité est tout autre ?
Je suis photographe de mode : cela renseigne déjà sans aucun doute sur ce que la femme représente pour moi. Et pourquoi je shoote cette femme-là, et pas celle-ci… ? Je pense commencer à le comprendre, oui, je crois.
 

QUESTIONS SUBSIDIAIRES

- Quel (autre) métier auriez-vous aimé faire ?
VP :  Psychologue.
 
- Quel métier n'auriez-vous pas aimé faire ?
VP : Soldat, ou policier.
 
- Quelle est votre drogue favorite ?
VP :  Le thé au lait, avec du miel.
 
- Qu’est-ce qui vous fait réagir le plus de façon créative, spirituellement, ou émotionnellement ?
VP : Les femmes !
 
- Qu’est-ce qui, au contraire, vous met complètement à plat ?
VP : … les femmes.
 
- Quel bruit, quel son, aimez-vous ?
VP :  Les criquets, l'été.
 
- Quel bruit détestez-vous entendre ?
VP : Les sons des villes, les voitures, les sirènes.
 
- Qui aimeriez-vous shooter pour mettre sur un nouveau billet de banque ?
VP : Mick Jagger.
 
- Quel don de la nature aimeriez-vous posséder ?
VP : Écrire la musique et jouer du piano.
 
- Avez-vous un objet fétiche, un porte-bonheur ?
VP : Mes neuf tatouages (dont trois madones).
 
- En quoi aimeriez-vous être réincarné(e) ?
VP : J'ai beaucoup de mal avec cette idée : je ne veux pas être autre chose. Essayer d'être en paix avec moi-même, c'est déjà tellement difficile… tout recommencer en crocodile ou en chihuahua…? Non !
 
- À quoi vous sert l’art ?
VP : Communiquer, ouvrir une fenêtre, dire qui tu es.
 
- À quoi sert un photographe ?
VP : C'est une manifestation de la différence des perceptions, de la subtilité du monde. Vous enfermez cinq photographes dans une même chambre, et ils créent cinq images différentes. Chacune sera vraie.
 

SI VOUS ÉTIEZ

- Une chanson ?
VP: N'importe quelle chanson de Johnny Cash.
 
- Un objet ?
VP : Je n'aimerais pas du tout être un objet !
 
- Un(e) artiste ?
VP : Un compositeur... ou un écrivain : Charles Bukowski, Kafka, ou Dostoïevski.
 

UN PHOTOGRAPHE + UN LABO
Vincent Peters & Processus

- Pourquoi avez-vous choisi Processus ? 
VP : J'aime la sensibilité des retoucheurs. Et c'est aussi un labo qui a su rester familial, ce n'est pas une usine. Actuellement, la post-prod est devenue la partie de notre travail qui génère le plus de pression. Avant, l'image était un fait, la vérité était dans le négatif. Maintenant, plus personne ne l'accepte, puisque l'on peut tout manipuler. Par exemple, en ce moment, je suis une série en N&B, réalisée un jour de pluie, ciel gris, etc. Le client nous dit : "Non. Il faut de la couleur, de la chaleur"… !
Wolfgang Joop (le créateur), m'a rapporté un jour cette histoire : il devait réaliser une publicité pour un manteau, avec Elmut Newton. Et le jour du shooting était aussi un jour de pluie. Ils ont fait les prises de vues dans un stade, pour être à l'abri. Newton tire un polaroïd. La femme était nue, très belle, mais on ne voyait pas vraiment le manteau ; l'image était très dense. Joop dit : "Mais là, je ne vois pas du tout mon manteau !" Ce à quoi Elmut Newton a répondu : "Tu sais, dans deux ans, ton manteau, il est à la poubelle. Et ma photo ? Dans les musées !" Les photos deviennent les faits, et le reste disparait. Le travail du labo est donc primordial.


Interview : Sandrine Fafet
(Avril 2014)