INTERVIEW
- Premiers contacts avec la photographie ?
Rüdy Waks : Par mon père, qui m'en a appris toutes les bases.
- Comment êtes-vous devenu photographe ?
RW : Je n'ai pas fait d'école de photo. L'école ne me convenait pas vraiment (j'étais un cancre). J'ai donc commencé par faire quelques petits boulots, mais je me suis très vite rendu compte que seule la photo m'intéressait. Vers dix-neuf ans, j'ai décidé qu'il fallait que je réussisse à en vivre et j'ai demandé à être pris comme stagiaire iconographe à
Studio Magazine. Là-bas, je rencontrais des photographes, je croisais les responsables d'agences. J'ai ensuite été assistant de photographes durant quelques années, avant de devenir photographe indépendant.
- Depuis, vous avez réalisé de très nombreux portraits pour la presse. Avez-vous d'autres projets plus personnels ?
RW : J'adore partir seul, me balader et faire des photos. Je ne les montre pas beaucoup, le projet n'est pas vraiment abouti (et puis le "paysage" n'est pas un sujet qui intéresse beaucoup la presse quotidienne). Mais, quand je pars me balader, je n'ai de compte à rendre à personne, je ne me sens pas enfermé dans quelque chose, c'est pour moi un véritable espace de liberté. J'en ferai peut-être une expo, un jour.
- De grands souvenirs en photo ?
RW : Trois semaines de tournée avec Ray Charles… !
J'adorais Ray Charles et j'ai décidé un jour de contacter son attaché de presse pour décrocher un rendez-vous (j'avais réussi à me procurer le numéro en passant par tout un tas de stratagèmes). On a discuté au téléphone un bon moment, de photo surtout – car il en faisait lui-même – mais pas vraiment de Ray Charles. Et puis il a fini par me dire : "Tu es jeune, tu as du culot, si tu veux, suis-nous en tournée." Et je suis parti trois semaines avec eux ! Je me retrouvais dans la loge de Ray Charles, je l'annonçais sur scène, c'était hallucinant ! J'avais dix-huit ans, je vivais un rêve. Le portrait que j'ai fait de lui ne m'a pris que quelques secondes mais c'est toute la magie autour qui, durant ces trois semaines, était incroyable. Un grand moment.
- Le portrait de Charlize Theron.
RW : Il y a quelques années de cela, on m'a commandé un portrait de Charlize Theron. Le rendez-vous avec l'actrice était fixé dans la suite d'un grand hôtel. À l'heure dite, Charlize Theron fait son entrée, escortée de tous ses assistants, publicistes, maquilleurs, etc. Elle s'installe et attend mes directives ; je commence à prendre quelques photos. Mais je la trouve placée un tout petit peu trop loin de l'objectif. Je lui demande donc de se rapprocher de moi.
Et là, c'est le drame. Je lui dis : "Come on me". Ce à quoi elle me répond simplement : "I think it's not possible..." Éclats de rire de toute l'assemblée. Je ne comprends pas ce qu'il se passe, agacé qu'elle ne veuille pas s'approcher. C'est alors que mon ami Patrick Fabre, chargé de l'interview, me glisse à l'oreille discrètement que je viens de lui demander de « jouir sur moi »... Petit moment de solitude. Je me suis confondu en excuses... et tout s'est bien terminé.
- En tant que portraitiste, quel rapport entretenez-vous avec l'autre ?
RW : Parfois, les gens que l'on doit photographier sont moins bien lunés que d'autres, il faut s'adapter, et même, savoir utiliser une résistance, une mauvaise humeur, pour servir la photo. Beaucoup d'éléments entrent en jeu, que je ne peux pas contrôler : le lieu de la prise de vue, le temps qu'il fera ce jour-là, etc. J'arrive avec des idées en tête, et puis en voyant le personnage, la manière dont il est habillé, je peux décider d'en prendre le contre-pied. Au final, je préfère l'improvisation. Pour que l'image reste spontanée. Entrer dans une pièce et se dire : "Ah, là, il y a une belle lumière, c'est ici que l'on va faire la photo." Parfois, il sera préférable de ne rien dire à la personne, de la laisser dans le flou. Parfois, au contraire, c'est mieux de la "brusquer" un peu, de l'emmener ailleurs, sans qu'elle s'y attende. Certains ont des a priori, des envies précises et c'est là que réside le jeu. Il ne faut jamais trop faire "plaisir" à la personne en face de soi. Ce n'est pas le but. L'important est de penser à sa photo.
- Quelle est l’activité qui vous permet de reposer vos yeux et de ressourcer votre envie de photographier ?
RW : La musique – pour mettre les yeux en pause et utiliser d'autres sens (je fais beaucoup de guitare).
Le dessin et les balades – une autre forme d'évasion. Je dessine les gens dans le métro (je ne dessine pas vraiment ailleurs). Je tiens des tas de petits carnets, de gens en train de dormir, de lire. Cela permet d'avoir un autre regard sur les gens. D'apprendre à regarder. De garder en mémoire des lumières, des visages, travailler des ombres : un moyen d'exercer l'oeil, de couper avec le travail pour y revenir avec de nouvelles ressources, reprendre du plaisir.
- Vous avez intégré l'agence Modds dès sa création en 2012, comment avez-vous rencontré Marie Delcroix et Olivia Delhostal ?
RW : Olivia et Marie travaillaient à l'époque chez Corbis Out Line ; elles ont toujours suivi mon travail et m'ont proposé un jour d'intégrer l'agence. Quand elles ont décidé de monter leur propre structure, c'était une évidence pour moi de les suivre. Elles adorent la photo. Elles défendent les photographes bec et ongle. Ce sont des passionnées.
- Vous avez achevé une série sur les roux : comment cette série est-elle née ?
RW : J'ai toujours été fasciné par les roux, je les trouve très beaux. Mais je n'en connaissais aucun au départ et je les ai essentiellement rencontrés par les réseaux sociaux. J'ai alors découvert une vraie solidarité ; je me suis rendu compte qu'ils se connaissaient tous. Par exemple, sur Facebook, ils se demandent comme amis uniquement parce qu'ils sont roux. Une fille m'a raconté que dans le métro, si elle croise une autre fille rousse, elles échangent un sourire, comme un signe d'appartenance à une même fratrie – une connivence qui n'existe pas chez les blondes.
J'en ai shooté trois ou quatre le premier jour. Tout fonctionnait bien. J'ai continué la série. Ils me racontaient leurs histoires, et ce qu'ils avaient enduré. Parfois ils arrivaient au studio avec un esprit de revanche : "Raaah ! Enfin ! On s'intéresse à nous !"
J'ai fait environ une trentaine de portraits durant deux ans mais encore maintenant, quand je croise une tête rousse, il m'arrive d'avoir envie de la photographier. Tant que l'expo n'a pas eu lieu, je me laisse une petite fenêtre de liberté pour ajouter un nouveau portrait qui apporterait vraiment quelque chose de différent à la série, mais il faut savoir s'arrêter, et conclure. À présent je cherche donc un lieu d'expo où j'organiserai une grande fête de la rousseur !
- En 2013, vous avez participé au Mai de la Photo, grand rassemblement d'expositions organisées par la commune de Villeneuve sur Lot. Comment s'est déroulé ce projet ?
RW : La ville de Villeneuve sur Lot m'a contacté, comme Jérôme Bonnet, Jean-François Robert, Americo Mariano, Denis Rouve ou Patrick Swirc avant moi, pour participer au Mai de la photo que la ville organise tous les ans. Le but était de faire une série sur les habitants de Villeneuve sur Lot : j'ai eu spontanément envie de travailler sur les gens âgés, des visages marqués par le temps, comme des parchemins. J'adore regarder un visage ; c'est comme un paysage, il y a tellement de choses à y voir, je ne m'en lasse jamais. Le shooting a duré toute une journée, pour quinze portraits au total. L'exposition avait lieu dans les jardins de la mairie, les "modèles" sont venus voir l'expo entourés de leurs familles, de leurs petits-enfants ; ils étaient si fiers et émus aussi, de se voir en un mètre par un mètre vingt. C'est un très beau souvenir.
- Quel conseil donneriez-vous à un jeune photographe ?
RW : Photographe, c'est justement l'un des rares métiers où il n'y a pas de règles. Mon conseil serait donc quelque chose comme : faire des images, faire des images, faire des images. Il n'y a que cela pour avancer, pour progresser, c'est la seule recette qui fonctionne. Faire des images, et les montrer.
QUESTIONS SUBSIDIAIRES
- Quel (autre) métier auriez-vous aimé faire ?
RW
: Enseignant.
- Quel métier n'auriez-vous pas aimé faire ?
RW : Contrôleur.
- De quel trait de caractère êtes-vous le moins fier ?
RW : L'impatience.
- Qu’est-ce qui vous fait réagir le plus de façon créative, spirituellement, ou émotionnellement ?
RW : La musique.
- Qu’est-ce qui, au contraire, vous met complètement à plat ?
RW : Le JT de 20 heures.
- Quel bruit, quel son, aimez-vous faire ?
RW : Gratter les cordes de ma guitare.
- Quel bruit détestez-vous entendre ?
RW : La fausse note.
- Quelle est votre drogue favorite ?
RW : Les Rolling Stones.
- Qui aimeriez-vous shooter pour mettre sur un nouveau billet de banque ?
RW : Keith Richards.
- Avez-vous un objet fétiche, un porte-bonheur ?
RW : Ma guitare.
- Quel est votre juron, gros mot, blasphème favori ?
RW : "
Putain de bordel de merde".
- En quoi aimeriez-vous être réincarné(e) ?
RW : En orque.
- À quoi vous sert l’art ?
RW : À voir le monde autrement.
SI VOUS ÉTIEZ
- Une couleur ?
RW : Le bleu.
- Une chanson ?
RW : "Dirty Old Town", des Pogues.
- Un objet ?
RW
: Une Gibson Hummingbird.
- Une saison ?
RW : Le printemps.
- Un parfum ?
RW : Cette odeur, après la pluie.
- Un sentiment ?
RW : La joie.
- Un alcool ?
RW : Le gin.
- Une œuvre d’art ?
RW :
Le Radeau de la Méduse, de Géricault.
INTERVIEW « RÉFLEXE »
- Que faites-vous de vos yeux lorsqu’ils ne sont pas derrière un objectif ?
RW : Je les repose.
- Qu’est-ce que vous ne pouvez pas encadrer ?
RW : Mes photos.
- Qu’est-ce qui déclenche une envie de photo ?
RW : Une lumière.
- Devant quel sujet ne pouvez-vous pas rester objectif ?
RW : La douleur.
- Si vous deviez zoomer sur un événement, ce serait lequel ?
RW : La fin de l'apartheid.
- À quoi êtes-vous le plus sensible ?
RW : À un regard.
- Quel est le réflexe dont vous êtes le plus fier ?
RW : Relever la lunette des toilettes.
- À quoi sert un photographe ?
RW : À faire des photos.
UN PHOTOGRAPHE + UN LABO
Rüdy Waks & Processus
- Pourquoi avez-vous choisi Processus ?
RW : J'ai connu Processus par l'intermédiaire d'autres photographes qui ne m'en disaient que du bien et je me suis très vite rendu compte que l'humain y a une place très importante. L'accueil est toujours très chaleureux, il y a quelque chose là-bas de très familial. J'y trouve beaucoup de conseils, d'encouragements, de soutien. La qualité du travail est irréprochable et ce, même avec des délais très courts. J'aurais beaucoup de mal à travailler sans Processus aujourd'hui.
Interview : Sandrine Fafet
(Juin 2014)