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La photographe Catherine Cabrol

À travers les différents reportages qu'elle a réalisé en parcourant le monde, les portraits de personnalités diverses - connues ou pas, mais toujours exceptionnelles - qu'elle choisit de mettre en scène, Catherine Cabrol nous donne accès à un monde tendre et authentique, drôle et surprenant, parfois bouleversant. On la retrouve aussi bien sur un plateau de cinéma, dans une salle de sport ou un monastère Tibétain, derrière un objectif, ou derrière une caméra - car elle est aussi réalisatrice. Et, au fond, quel que soit le média qu’elle utilise, ce que cet œil attentif cherche à explorer, c’est l’âme du modèle, avec justesse, sans jugement. Portrait sensible d'une femme photographe, humaine et drôle.
LEGENDE
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INTERVIEW

- Comment la photographie est-elle entrée dans votre vie ?
Catherine Cabrol : J’ai toujours senti que je ferais quelque chose en rapport avec la vue. Je voyais mieux que je ne parlais. Je voyais beaucoup de choses. Quand j’ai su, vers quinze ans, que la photographie était aussi un métier, je me suis dit que c’était ce que je voulais faire : un métier solitaire et lié à l’image. Cela a été une révélation. C'est une chance absolue de savoir très tôt ce que l'on veut vraiment... Je n'ai pas fait ce métier par défaut, ni parce que j'avais raté autre chose, non. J'ai su à ce moment-là que je voulais devenir photographe.

- Vous êtes passée par une école ?
CC : Non. Mais à partir de ce jour-là, j'ai beaucoup travaillé. Mon père m’a prêté son boîtier. J'ai appris seule, à aller vers les bonnes personnes et à faire des choix.

- En tant que photographe, diriez-vous que c’est, de vos cinq sens, la vue qui vous procure le plus d’émotions ? Vous imaginez-vous pouvoir vous passer d'utiliser votre œil ?
CC : Justement, je suis fascinée par le fait que l’on ne puisse pas voir, puisque pour moi tout passe par la vue. Le hasard a d'abord fait que je me suis récemment liée d'amitié avec plusieurs personnes aveugles, alors que jusqu'à présent, bizarrement, je n'en avais jamais connues. Et puis j’ai photographié des aveugles au Mali. Je m'exerce aussi à ne pas voir : et là, tout à coup, on devient plus attentif à tout ce que l'on entend – je suis très sensible aux sons. C'est un exercice enrichissant. La vue offre la possibilité de ne rien dire : jeune, je n’aimais pas les bavardages et la superficialité qui va avec - je vivais à Cannes, il faut dire ! C’est une ville que j’adore par ailleurs, mais que j’ai eu envie de fuir. Depuis, j'ai un gros problème avec les gens bien bronzés, chaîne en or autour du cou, qui roulent en décapotable (rires).

- Les aveugles occupent à présent dans votre vie une place toute particulière
CC : À Bamako, récemment, j'ai eu l'opportunité de faire un reportage sur les pensionnaires d'une école d'aveugles : l'Union Malienne des Aveugles – tout à fait par hasard. Là-bas, il n'y a pas de place pour les postures superficielles. Les pensionnaires sont des gens très pauvres, qui n'ont souvent plus aucune famille. Ils entrent dans cette école comme élèves d'abord, puis peuvent devenir enseignants, transmettant leur savoir à la génération suivante. J'ai fait leurs portraits. J'ai photographié leurs regards. Je suis restée très attentive à eux. Ils étaient heureux que l'on fasse attention à eux de cette manière. Photographier ces gens qui ne voient pas aura été pour moi un des plus beaux moments photographiques de ma vie. J'en garde une joie immense, exceptionnelle.  

- De manière générale, comment naît un projet de photo ?
CC : J'ai commencé ma carrière comme journaliste, j’avais une carte de presse et je travaillais comme indépendante pour plusieurs agences. Au fur et à mesure que j'avançais dans mon travail, j’ai réalisé qu’aucun de mes sujets ne venaient de l’actualité. Ils venaient de moi, de mes désirs personnels. Comme une sorte de puzzle que j’arrive à créer à partir d’émotions, de rencontres. 

- Cela a-t-il été la même chose pour la série Blessures de femmes ?
CC : Blessures de femmes est né d'une tristesse. J'ai perdu une amie, morte des suites de violences conjugales. Et je n'ai pas compris. À l'annonce de sa mort, je suis restée assise longtemps, dans mon jardin, sans comprendre. Alors je me suis dit qu’il fallait que je fasse quelque chose. Cette mort était inacceptable. Je n'avais rien su de cette violence. Par la suite j’ai cru comprendre, en me rappelant des choses qu’elle avait dites, ou pas dites au contraire, des questions auxquelles elle n'avait pas répondues. Et puis c'était une époque où je photographiais beaucoup de gens célèbres, et j'étais arrivée à un moment où tout cela me fatiguait. J'avais besoin d'autre chose. Il fallait que j'aille vers des projets plus "habités", plus forts.

- Et ensuite... ?
CC : J'ai d'abord formulé l'idée. C'était une étape importante. Je suis allée vers des gens qui étaient concernés par ces drames, j'ai pris contact avec des associations. Et puis j'ai rencontré une femme qui cherchait un réalisateur pour faire des clips. C'est comme cela que j'ai été choisie par Canal+ pour réaliser vingt clips, sur vingt femmes ayant subi des maltraitances. Vingt clips d'une minute et demie. C’était génial à faire. Je me suis dit que je ne pouvais pas m'arrêter là. Alors j’ai interviewé ces vingt femmes, et puis je les ai photographiées, dans mon studio, à la chambre. Et j'ai continué. Trente. Quarante. Des violences conjugales, je suis passé à d’autres maltraitances, l’excision, le viol, l’inceste, l’esclavage moderne, le harcèlement, la prostitution... Les femmes qui acceptent de témoigner sont en général des femmes qui s’en sont à peu près sorties et qui restent concernées par le sujet, qui militent par le biais d'associations. Nous sommes toutes devenues amies. Très proches, même, parfois. Et elles-mêmes sont devenues amies entre elles pour la plupart. Elles m'ont appris beaucoup de choses. Les informations que j'ai collectées durant toutes ces années sont précieuses. C'est important d'avoir eu ce parcours transversal sur le sujet et d'avoir pu côtoyer toutes les formes de maltraitances.
Que cette mort violente, absurde, inacceptable m'ait au moins permis cela, une ouverture, une profondeur. Je me trouve moins bête à présent.

- Vous avez également photographié beaucoup de sportifs
CC : J'adore les sportifs, j'adore le sport. J’ai même commencé la photo par là. C’était un milieu très masculin, très macho, et à l'époque j'étais la seule femme - et cela n'a pas beaucoup changé, d'ailleurs ! Ce n'était donc pas très facile mais, comme j'étais la seule femme, justement, on se souvenait plus facilement de moi. Seulement, on a d'abord voulu me faire travailler comme un homme. C'était absurde ! J’ai dû me battre pour introduire un point de vue féminin, un regard féminin. J'ai fait beaucoup de sport moi-même, des compétitions de tennis et de volley-ball. Je connais bien le sujet. Le sport en général, mais surtout le sport d'équipe ont amélioré mon mental et je ne serais pas la même personne si je n'avais pas fait autant de sport. Les sportifs étaient contents de me voir arriver, moi. Avec ce regard justement, de "femme photographe". Par exemple, j'ai fait une série de portraits de rugbymen. Je ne les ai pas photographiés comme un homme. J'avais choisi de les faire poser torses nus, et il y avait là quelque chose de sensuel. C'était la première fois qu'on portait un tel regard sur ce sport - depuis les choses ont bien changé, et les rugbymen à présent se prêtent carrément à des exercices proches de la vulgarité. Mais passons. À travers cette série, j'ai voulu montrer le charme de ces joueurs, la beauté dans l'effort, une beauté sobre, salie par la terre, à la fois brutale et très technique. J’aime beaucoup le rugby (je suis du Sud-Ouest). J'aime particulièrement les valeurs de fraternité, de solidarité, et de simplicité que l'on peut y rencontrer.

- L'équipe de France de football...
CC : Oui, j’ai aussi photographié l’équipe de France de football, mais à une époque où ils étaient assez mauvais – c’était avant la coupe du monde 98 – on les critiquait beaucoup. Je n’ai pas prêté attention aux critiques, j’ai fait le choix de faire leurs portraits : ils sont devenus Champions du Monde juste après ! Ce qui brille trop ne m'attire pas. La beauté, seule, m'ennuie. Je préfère toujours aller vers le petit, le faible, plutôt que le grand et fort. Je suis comme cela.

- Vous semblez porter bonheur aux sportifs, non ?
CC : Oui, peut-être…! C'est vrai que j'ai aussi gagné Roland Garros avec Yannick Noah ! (rires). Je l'ai suivi jusqu'à sa victoire et puis j'ai vendu mes premières photos à Paris Match. Une belle expérience pour moi. Quand elle s'est terminée, je me suis dit : "Ok, ça, je sais le faire. Merci beaucoup Yannick et au revoir !" et je suis passée à autre chose. Je suis allée faire d'autres sujets, rencontrer d'autres univers autour du monde, des portraits de gens avec des destinées incroyables, des reines de beauté, des architectes... J'ai parcouru la terre entière pour fabriquer de nouvelles photos, une par une.

- Quelle est la série qui vous a le plus exaltée ?
CC : Les metteurs en scène. Là, j'ai rencontré des gens très célèbres et en même temps pas connus. Des gens d'une grande intelligence. Ils ne sont pas là pour être beaux. Leur propos est ailleurs. J'ai adoré ce travail. Malgré les années, je trouve qu'il n'a pas vieilli. Les photos me plaisent toujours, je les trouve justes. Faire des photos qui ne vieillissent pas, ça, ça me plait bien ! Je ne suis pas à la mode, je ne l'ai jamais été, je déteste être à la mode. Être à la mode, au fond, c'est déjà être vieux et démodé. C'est surtout profiter de la facilité, du truc qui marche. Je ne profite de rien du tout. Pour moi, il n'y a que les idées qui comptent. Ce qui est vraiment important, c'est l'authenticité de l'idée.

- La réalisation, c'est un autre moyen d'expression ?
CC : Ce n'est pas venu de moi, au départ. Je me suis rapprochée à la mise en scène plus tard, j’avais quarante ans et c'est une amie qui m'a demandé de réaliser son court-métrage. C’est arrivé parce qu’à un moment quelqu'un a eu envie que je le fasse. Et je lui ai répondu : « Moi ? Pourquoi pas ? » Je me suis dit que ça m'amuserait. Mais je n’ai pas quitté la photo pour autant. J'aime trop la photographie. Je crois que je ferai de la photographie jusqu’à ma mort – si je peux, car c’est un métier physique où l’on est tout seul. Il faut que les yeux tiennent, que le dos tienne. Le travail de réalisateur est moins physique, et puis c’est un travail d’équipe. Cela m’a permis de sortir un peu de mon métier solitaire, et de parler.

- Vous nous avez dit que vous n’aimiez pas les bavardages… De quoi aimez-vous parler ?
CC : De la photographie. On ne parle pas assez de la photographie. Pas assez bien. J’aimerais donner des cours de pose, par exemple. J’ai déjà un peu commencé. Les gens ne savent pas poser ! Peut-être à cause d’une mauvaise idée qu’ils ont de la photographie, ou d’eux-mêmes. Ils ne savent pas s'apprécier tels qu’ils sont et du coup ils sont incapables de bien se comporter devant un photographe. Je voudrais leur donner à la fois du plaisir à être photographié et puis surtout je veux que les gens se comportent bien face à un photographe. Certaines personnes, parfois très connues, peuvent se montrer insupportables lors d’une séance de photo ! J’aime parler de la photo à la radio, pour raconter par exemple le bien que la photographie peut faire (je pense notamment à la série Blessures de femmes)... La photo fait du bien et on ne parle pas assez de cet aspect-là.

- Dans quelle famille de photographes vous reconnaissez-vous ?
CC : Si j’avais une maman en photo se serait Diane Arbus. Si j’avais un papa, ou plutôt deux papas, ce serait Irvin Penn et Avedon. Et une grande sœur, ce serait Annie Leibovitz. Il s’agit bien d’une famille : je ne suis pas une fan née et je reste toujours très fidèle à ma propre inspiration. Par exemple, je ne regarde pas les journaux, je ne suis pas à l'affût des parutions, je ne suis pas non plus de près la production de mes contemporains. Dans ma catégorie, en France, il y a peu de femmes, et aucune qui ait de l'humour. J'ai des amis photographes, dont j’apprécie le travail mais surtout la personne. Je ne me sens bien qu’entourée de gens sympathiques, et pour les photographes c'est pareil. Pas de place pour les frimeurs ! De toute façon tout se lit dans les photos… donc prudence !

- Argentique VS numérique : qu'en pensez-vous ?
CC : Je préfère la qualité de l'argentique, j'adore travailler à la chambre. Le rapport au temps est forcément différent quand on travaille à la chambre. J'aime faire arrêter le temps, à la fois de ceux qui sont en face, et le mien, bien penser la photographie, détendre tout le monde avant la prise de vue. Avec toutes ces nouvelles astuces numériques, on a tendance à perdre l'âme de l'image. Tous ces montages que permettent actuellement le numérique ne m'intéressent pas beaucoup. Cela dit, c'est un moyen moderne rapide, qui permet de travailler autrement et dans certains cas je l'utilise, lorsque cela est utile et en 24x36. J’apprécie le numérique pour la diffusion et une utilisation modérée en retouches.

- Quelle est l’activité qui vous permet de reposer vos yeux et de ressourcer votre envie de photographier ?
CC : Ne pas faire de photos. Je fais très peu de photos souvenir, par exemple. Très peu de photos avec ma famille. Quand j’en fais, je les fais poser. Ne pas faire de photos c’est faire un choix. Être photographe, c'est faire des choix. Il faut aussi savoir prendre son temps. C'est d'ailleurs pour cela que j'aime aussi beaucoup m'inspirer des portraits en peinture. Là, on prend le temps. On s'arrête pour peindre. On ne peint pas par hasard, comme ça, quelqu'un qui passe. Tout cela donne des clés sur la façon de poser. J'aime le cinéma aussi et la lecture.

- Ce sont des sources d'inspiration ?
CC : Oui. Il y aussi les gens, tout simplement, dans la rue, l'observation des gens dans le métro ou ailleurs. Les acrobates aussi m’inspirent. Leur force, leur agilité, leur corps… c'est très beau ! Et l'histoire du cirque est très riche. Je prends beaucoup de notes, j'ai toujours un carnet près de moi, partout où je me trouve. Je suis témoin de quelque chose qui pourrait être transformé en photographie et je commence à construire un sujet. 

- Qu’est-ce qu’une bonne photo pour vous ?
CC : C’est une photo qui sonne juste, comme en musique, je tends à trouver la note juste. Dès que je la tiens, c’est parti. Je suis réglée, je sais où je vais très précisément. Si je dois interrompre une série, je pourrais la reprendre longtemps après sans problème, en sachant parfaitement où je me suis arrêtée et où j’allais. Le plus beau compliment qu'on puisse me faire c’est : « le moment a été agréable », ensuite « la photo est bien » et enfin « je me reconnais dessus ». Des phrases qui peuvent définir mon travail : rendre les gens beaux, la belle affaire ! S'ils ne se reconnaissent pas, à quoi bon ? Et puis grandir aussi. C'est important de grandir, de ne pas trop rester sur ses acquis, de s'armer de ce que l'on a appris pour aller vers autre chose.
 

QUESTIONS SUBSIDIAIRES

- Quel conseil donneriez-vous à un jeune photographe ?
CC : Avoir des idées et les mener à bien.

- Quel est le métier que vous auriez aimé faire (à part photographe) ?
CC : Architecte.

- Quel est le métier que vous n’auriez pas aimé faire ?
CC : Pédicure.

- Quelle est votre drogue favorite ?
CC : Les quenelles.

- Qu’est-ce qui vous fait réagir le plus de façon créative, spirituellement, ou émotionnellement ?
CC : L’injustice et l’engagement.

- Qu’est-ce qui, au contraire, vous met complètement à plat ?
CC : La frime.

- Quel est le bruit, ou le son, que vous aimez faire ?
CC : Le son d’un baiser sur la joue de ma fille.

- Celui que vous détestez ?
CC : Une radio mal réglée.

- Qui aimeriez-vous shooter pour mettre sur un nouveau billet de banque ?
CC : Le Dalaï Lama (j’ai déjà la photo).

- Quel est votre juron, gros mot, blasphème favori ?
CC : "Putain de merde" (mais "Saperlipopette" devant ma fille). 

- Quel est le don de la nature que vous aimeriez avoir ?
CC : Bien chanter ou courir vite.

- Avez-vous un objet fétiche, un porte-bonheur ?
CC : Non, j’essaye de me détacher des objets auxquels j’ai tendance à trop tenir (sinon on devient fou !)
 

SI VOUS ÉTIEZ

- Une couleur ?
CC : Transparente.

- Une chanson ?
CC : Marinella de Tino Rossi, pour faire plaisir à ma mère.

- Un objet ?
CC : Un ballon de volley ball.

- Une saison ?
CC : L’été toute l'année. 

- Un mouvement du corps ?
CC : L'immobilité totale sur une jambe.

- Un oiseau ?
CC : Titi (de Titi et Gros Minet).

- Un parfum ?
CC : Le parfum de la peau de ma fille.

- Un sentiment ?
CC : La sympathie.

- Une sensation ?
CC : L’intuition.

- Un alcool ?
CC : Du vin rouge.

- Une œuvre d’art ?
CC : Ce tableau, que je viens d’acheter, d’une amie peintre qui s’appelle Véronique Robert Bancharelle.

- Une personne célèbre ?
CC : Barack Obama.
 

UN PHOTOGRAPHE + UN LABO
Catherine Cabrol & Processus

- Pourquoi avez-vous choisi Processus ?
CC : Un laboratoire pour un photographe c'est important. J'ai mis du temps à trouver le mien… J'ai, avant tout, envie d'avoir un contact vrai et authentique avec les gens avec qui je travaille. Je suis exigeante, je cherche la qualité, mais je sais que rien ne peut durer sans un vrai rapport humain, sans simplicité, modestie et respect, sans un engagement, sans amour du métier et des gens. Les compétences seules ne suffisent pas ! Je crois me souvenir que la première fois que j'ai parlé à Marie-Laure, je lui ai dit : J'avais envie que l'on me dise "Bonjour" quand j'arrive ! Ça semble bête, mais pour moi c'est fondamental. Et par la même que l'on n'en fasse pas trop ! J'aime pas les ronds de jambes ni les flatteries inutiles. L'équilibre du rapport humain est important, et il faut pouvoir en parler. À Processus, il y a deux lieux, deux équipes : l'argentique et le numérique. Comme je leur ai confié de nombreux travaux d'expositions, j'ai passé du temps avec presque tous les employés des deux lieux. Nous avons cherché ensemble, douté, inventé des mots pour essayer de mieux qualifier nos intentions. Nous avons pris du plaisir à travailler ensemble. Je sais que je peux poser des questions concernant un tirage, une expo, un fichier…. Je sais que l'équipe va chercher à m'aider. Je ne me sens jamais jugée. J'ai aussi l'impression d'avoir progressé avec eux et de ne pas les ennuyer avec mes photos ! Je ressens des êtres humains, je ne me sens pas dans un fonctionnement commercial. J'ai l'impression que nous évoluons ensemble. Nous échangeons. Rien n'est figé. Voilà pourquoi j'ai trouvé ma famille laboratoire, que je cherchais depuis longtemps… J'aime venir dans cet endroit, je m'y sens bien. C'est simple.
 

L'ARRÊT SUR IMAGE de Catherine Cabrol


Catherine Cabrol commente pour nous l'une de ses images. UMAV, Bamako.
CC : J'ai fait cette image à Bamako, à l'UMAV (Union Malienne des Aveugles). J'étais à Bamako pour des raisons familiales et mon mari avait travaillé dans ce centre pour les "Paris Bamako" Festival de musique créé par Amadou et Mariam, tous deux aveugles issus de cette école. Depuis toujours, je n'avais jamais osé ni voulu photographier de personnes aveugles… Et là j'ai eu l'intuition et l'envie de rencontrer les gens de cette institution. Le Directeur, lui aussi aveugle, a eu confiance en moi et m'a laissé faire des images. La seule chose que je pouvais leur dire c'était que j'avais envie de photographier avec amour et respect ces gens qui ne voient pas et qui ne verront jamais la photo que je suis en train de faire, mais qu'ils aient la conscience de ce que j'étais en train de faire. Tout dépendait de mon comportement, de mon honnêteté. J'ai eu naturellement envie de garder leur regard et de leur faire sentir tout ce que j'étais en train de photographier. J'ai agi très naturellement et eux aussi. Ils ne verront jamais les tirages, mais je sais qu'ils voient d'autres choses que moi je ne sentirai jamais… En tout cas pas dans une vie de "voyante".


Interview : Sandrine Fafet
(Juillet 2009)