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Le photographe Antoine Le Grand

Antoine Le Grand est photographe, portraitiste. Il photographie essentiellement des personnalités du monde des arts : des portraits en mouvement, qui jouent subtilement entre déséquilibre et équilibre. On pourrait dire des images d'Antoine Le Grand qu'elles appartiennent d'ores et déjà à l'Histoire de la photographie, puisque, d'une manière ou d'une autre, elles ont déjà forcément laissé une empreinte dans votre mémoire photographique. Un photographe qui nous rappelle le sens littéral du mot photographie : écrire avec la lumière.
LEGENDE
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INTERVIEW

- Premiers contacts avec la photographie ?
Antoine Le Grand : Je suis né dans une famille d'artistes.

- Pourquoi êtes-vous devenu photographe ?
ALG : C'est la seule chose que je savais faire.

- Qu’est-ce qui vous passionne le plus dans la photographie ?
ALG : La déconnexion avec le monde, par la concentration.

- Pouvez-vous expliquer votre approche de la photographie, et votre manière de travailler ?
ALG : Je suis dans la recherche de l'aléatoire, de l'équilibre et du déséquilibre. Tout est musical, tout varie en fonction des vibrations et des silences. Et, bien sûr, d'une concentration extrême. Il faut savoir se métamorphoser, comprendre et deviner, posséder le plus haut degré dans l'art de communiquer. Pour le portrait, la différence se joue dans la qualité de présence de la personne en face de moi, l'énergie contenue. Et, alors qu'il ne se passe rien, se dégage une étrangeté, à la fois inquiétante et apaisante. « La sensation d'inquiétante étrangeté fut une impression particulièrement difficile à définir. Ni terreur absolue, ni angoisse diffuse, l'inquiétante étrangeté parut plus facile à décrire en fonction de ce qu'elle n'était pas, qu'à partir d'une signification propre. » Anthony Vidler (*). (*) The Architectural Uncanny, The M.I.T. Press, Londres, 1992.

- Comment trouvez-vous vos idées de mises en scène pour les portraits ?
ALG : À l'arrache, dans l'urgence, dans le réflexe.

- Comment travaillez-vous la lumière ?
ALG : Photographier, c'est écrire avec la lumière jusqu'à l'intérioriser. L'éclairage devient intime. « L'ombre qui est dans la lumière / Pareille à une fumée bleue » Philippe Jaccottet, Poésie 1946-1967.

- Les Indiens craignaient qu’on ne vole leur âme si un photographe faisait leur portrait : que pensez-vous de cette peur instinctive ?
ALG : Les Indiens, comme les Incas, avaient des croyances bien plus larges que les nôtres. Ils voyageaient beaucoup dans leur tête. « There are three sides of every story : your side, my side and the truth. And no one is lying. Memories shared serve each differently. » Robert Evans (**). (**) 2002. (Il y a trois faces à chaque histoire. La vôtre, la mienne, et la vérité. Personne ne ment. Les souvenirs communs sont uniques pour chacun.)

- Quand vous photographiez quelqu’un, que cherchez-vous à capter ?
ALG : Pour les portraits de personnes célèbres, tous ces gens, au départ, me sont en réalité étrangers : je ne les connais que par leur travail. Pour toutes les rencontres, il ne faut pas s'encombrer d'appréhensions, de concepts, d'idées toutes faites. Il faut être présent pour capter ce moment où tombe un masque, et se révèle la personne. Avoir l'impression d'exister pour la première fois. Néanmoins, il faut tout contrôler sans en avoir l'air. Cette approche doit être faite comme si c'était la première fois que l'on prenait un portrait. Il faut être surpris par ce que l'on a fait. La photographie, c'est créer par l'instinct.

- Quels sont les photographes qui vous ont donné envie de faire de la photo ?
ALG : Helmut Newton, Duane Michals, Les Krims, Roger Corbeau.

- Parmi les arts visuels, lesquels peuvent vous faire réagir autant qu’une image ?
ALG : L'architecture.

- La photographie est-elle une activité vitale pour vous ?
ALG : C'est comme une drogue. Je me sens bien et je plane quand je travaille.

- Quel conseil donneriez-vous à un jeune photographe ?
ALG : De tout arrêter.
 

QUESTIONS SUBSIDIAIRES

- Quel (autre) métier auriez-vous aimé faire ?
ALG : Tueur à gages. (Jardinier comme couverture).

- Quel métier n'auriez-vous pas aimé faire ?
ALG : Dentiste.

- Quelle est votre drogue favorite ?
ALG : L'air pur.

- Qu’est-ce qui vous fait réagir le plus de façon créative, spirituellement, ou émotionnellement ?
ALG : Voir des merdes.

- Qu’est-ce qui, au contraire, vous met complètement à plat ?
ALG : Une nuit blanche.

- Qui aimeriez-vous shooter pour mettre sur un nouveau billet de banque ?
ALG : Joe Strummer.

- Quel est votre juron, gros mot, blasphème favori ?
ALG : « Putain de merde ».

- Quel don de la nature aimeriez-vous posséder ?
ALG : J'en ai déjà un... (la prémonition).

- En quoi aimeriez-vous être réincarné(e) ?
ALG : En godemichet.

- À quoi vous sert l’art ?
ALG : À vivre différemment.
 

SI VOUS ÉTIEZ

- Une couleur ?
ALG : Bleu.

- Une chanson ?
ALG : « Police on my back », The Clash.

- Un objet ?
ALG : Un diamant.

- Un élément ?
ALG : La brume.

- Un parfum ?
ALG : Eau Lente, de Diptyque.

- Un sentiment ?
ALG : Une bonne nouvelle.

- Un(e) artiste ?
ALG : Brian Eno.

- Une œuvre d’art ?
ALG : La tour Eiffel.
 

INTERVIEW « RÉFLEXE »

- Que faites-vous de vos yeux lorsqu’ils ne sont pas derrière un objectif ?
ALG :  Ils inspectent.

- Quel est le cliché que vous ne supportez plus ?
ALG : Il est déjà à la poubelle.

- Quel est le réflexe dont vous êtes le plus fier ?
ALG : Savoir appuyer sur le bouton au bon moment.

- Souvenirs de shootings parmi d'autres ?  
Le plus cauchemardesque ?

ALG : Un comique américain...

Le plus dingue ? 
ALG : Un skipper de Elf Aquitaine en pleine mer. 

Le plus trippant ?
ALG : Al Pacino.

- Qu’est-ce qui déclenche une envie de photo ?
ALG : L'ennui.

- Votre état d’esprit sur la situation de votre métier ? Positif ou négatif ?
ALG : Il est difficile d'être positif quand on est au service du négatif...

- Devant quel sujet ne pouvez-vous pas rester objectif ?
ALG : La faim dans le monde.

- À quoi sert un photographe ?
ALG : À faire rêver les autres.

- Si vous deviez zoomer sur un événement, ce serait lequel ?
ALG : La naissance de mon fils.

- Quel est votre boîtier fétiche ?
ALG : Mon Hasselblad.

- À quoi êtes-vous le plus sensible ?
ALG : La haine.

- En photo, qui vous impressionne vraiment ?
ALG : Helmut Newton et Duane Michals.

- Qu’est-ce qui passe avec succès, l’épreuve du temps ?
ALG : La tour Eiffel.
 

UN PHOTOGRAPHE + UN LABO
Antoine Le Grand & Processus

- Pourquoi avez-vous choisi Processus ? 
ALG : Processus est aujourd'hui l'un des derniers laboratoires où l'on trouve tout sur place, l'argentique et le numérique. Après la déferlante du numérique et le nombre de labos qui ont fermé, on peut, chez Processus, faire développer ses films argentiques. Et puis, j'adore la patronne.
 

L'ARRÊT SUR IMAGE d'Antoine Le Grand


C'est le photographe Antoine Le Grand qui zoome ce mois-ci pour Processus, sur l'une de ses images.
GILBERT AND GEORGE Londres, 2010

ALG : J'étais très heureux de rencontrer Gilbert & George, car j'aime beaucoup leur travail. On avait rendez-vous dans leur maison-atelier, à Londres. Impressionnante, méticuleusement bien rangée, et remplie de collections magnifiques. Nous devions faire deux photos. J'en ai fait six. On a passé la journée à travailler, discuter et rire (ils appelaient mon assistant "sweet heart"). L'idée, pour cette photo, était simple : vu que la porte des W.C était grande ouverte et que leur travail tourne beaucoup autour du pipi-caca, tac, assis sur le trône. Lumière naturelle, juste un réflecteur blanc et l'affaire était faite. Chacun leur tour, et pif-paf, ils sont face à face. J'ai shooté en argentique. Pas de retouches. Et l'on est restés tellement longtemps avec eux, que l'on a loupé notre train...


Interview : Sandrine Fafet
(Septembre 2012)